Cet article revient sur plusieurs rencontres marquantes faites par Mathilde, responsable de la communication de Youth Visions, un projet de film documentaire qui porte la voix de jeunes en première ligne des crises politiques, économiques et climatiques, dans plusieurs pays. L’équipe arrive à Delhi en juin 2023 pour un séminaire avec une dizaine de jeunes Indiennes. Un séminaire qui fait office de casting.
This article reflects on several impactful encounters experienced by Mathilde, the communications leader of Youth Visions. This documentary film project brings forth the voices of young adults on the front lines of political, economic, and climate crises in several countries. The team arrived in Delhi in June 2023 for a seminar organized with about ten young Indian women. The seminar served as a casting call.
Elles viennent des quatre coins de l’Inde : Delhi, Kolkata, Mumbai, Raipur, ne parlent pas toutes la même langue, ont des cultures, des attitudes, des religions, peut-être, différentes. L’Inde, ce pays continent qui en contient une multitude. Devant moi, une dizaine de jeunes filles qui ont comme point commun – le seul ? – de participer à un séminaire organisé pour le tournage d’un film documentaire.
Dans leur diversité, je suis tout de suite frappée par ce qui les unit : leurs cheveux. Une belle chevelure noire, soyeuse et dense, qui « contient tout un rêve, plein de voilures et de mâtures » (Baudelaire – “Un hémisphère dans une chevelure”). Des cheveux qui renvoient immédiatement à l’imaginaire de l’Indienne, avec un sari de mille couleurs et un point rouge, parfaitement rond, posé à l’exact milieu de son front.
They came from all over India: Delhi, Kolkata, Mumbai, Raipur. They do not all speak the same language and have different cultures, attitudes, and perhaps religions. India, a continent sized country with so many distinct aspects. In front of me, a dozen young girls with only one thing in common – participating in a seminar for the making of a documentary film.
In their diversity, I was immediately struck by what united them: their hair. Beautiful black, silky, and dense hair that « contains a whole dream, full of sails and masts » (Baudelaire – “Un hémisphère dans une chevelure”). Hair that instantly conjures up the image of an Indian woman in a thousand-colored sari with a perfectly round red dot placed precisely in the middle of her forehead.
Mais parmi ces mèches noires, qui ont le pouvoir extraordinaire de faire rêver, deux coupes “à la garçonne”. Un décalage. Une rupture. Deux femmes “en marge”, en révolte ? Se couper les cheveux n’a jamais été anodin. C’est un acte militant.
But among these mesmerizing black locks, there were two “boyish” haircuts. A contrast. A rupture. Two women “on the fringe,” in revolt? Cutting one’s hair has never been trivial. It is a militant act.
“In cutting your hair, you decide to change your life and leave the past behind. Your haircut is like a new cycle in your life that initiates real change and a desire to move towards the positive.” (Femme d’Influence, « Why a Woman Should Cut Her Hair at Least Once in Her Life »)
“A new cut, a new man, a new woman” (Renaud d’Alançon on his Instagram account after a breakup)
“A woman who cuts her hair is about to change her life” (Coco Chanel) |
Et si se couper les cheveux était un acte performatif, synonyme d’espoir, de lutte, d’optimisme ? Choisir c’est renoncer. Retirer un peu de soi, mais décider d’aller de l’avant. Et j’avais devant moi deux jeunes femmes qui en avaient fait l’expérience. Enfin, j’étais sur le point de vérifier l’exactitude de la philosophie esthétique de Coco Chanel, que je n’ai encore jamais osé remettre en question.
Une de ces deux activistes me touche particulièrement, Reshmi. Je la rencontre tout d’abord à travers son sourire et son regard. L’un éclairant l’autre. Une maturité, une force, un épanouissement. Elle a 20 ans.
And if cutting hair was a performative act, synonymous with hope, struggle, and optimism? To choose is to give up. Removing a part of oneself but deciding to move forward. And in front of me were two young women who had experienced this. I was finally about to verify the accuracy of Coco Chanel’s aesthetic philosophy, which I had never dared to question.
One of these two activists particularly touched me, Reshmi. I was first struck by her smile and gaze. One illuminating the other. A maturity, a strength, a blossoming. She is 20 years old.
Cela fait maintenant 6 mois que je voyage, et je suis à chaque fois touchée, émue par les regards des jeunes rencontrés. Les yeux sont un poème, on en perçoit parfois la beauté sans savoir pourquoi. Au Liban, lors de notre séminaire, j’ai été bouleversée par Khawla. Lorsqu’elle m’a regardée pour la première fois, j’ai senti le poids d’une histoire trop lourde à porter pour une femme d’à peine 20 ans. De la profondeur, une nostalgie peut-être, mais pas de révolte. On dit que certains n’ont pas eu d’enfance. Je ne sais pas si c’est son cas, mais la force de son regard lui donne une maturité que peu de jeunes ont. J’apprends qu’elle est réfugiée syrienne, qu’elle aime écrire, surtout des poèmes. Elle en poste certains sur YouTube, qui lui valent de nombreuses critiques, notamment celles d’un homme qui la menace, elle et sa famille. Parler d’amour et de poésie dérange, parfois. Devant mon regard empathique, elle rit. « Moi ça m’amuse, ça permet au moins de briser la routine ! ». Soit.
Je rencontre donc des jeunes qui me bouleversent, et je sens que Reshmi va en faire partie.
It has now been six months that I have been traveling, and I am always touched, moved by the looks of the young people I meet. The eyes are a poem; sometimes, we perceive their beauty without knowing why. In Lebanon, during our seminar, I was deeply moved by Khawla. When she looked at me for the first time, I felt the weight of a story too heavy for a woman barely 20 years old. Depth, perhaps nostalgia, but not rebellion. They say some people never had a childhood. I don’t know if that’s her case, but the strength of her gaze gives her a maturity that few young people have. I learned that she is a Syrian refugee, loves writing, especially poems. She posts some on YouTube, which earn her many criticisms, including from a man who threatens her and her family. Talking about love and poetry is sometimes unsettling. In response to my empathetic look, she laughed. “It amuses me; at least it breaks the routine!” Well.
I meet young people who move me, and I sense that Reshmi will be one of them.
J’avais décidé, avec Virgile, ingénieur du son sur notre projet, que j’allais apprendre à réaliser des podcasts. J’en avais envie. Rentrer dans l’intimité des jeunes, écouter leurs histoires, leur poser des questions. Et c’était décidé, mon premier podcast serait avec Reshmi. Je ne connaissais rien d’elle si ce n’est ses cheveux courts, son regard et son sourire, mais c’était suffisant. Elle m’avait touchée, elle allait en toucher d’autres. N’agissant que par intuition, je me prépare tout de même, un minimum… Je collecte quelques informations sur son histoire, écoute les conseils de Virgile et lui demande de rester avec moi pour me guider, il prendra également le son.
I had decided, with Virgile, the sound engineer on our project, that I was going to learn how to create podcasts. I wanted to. To enter the intimacy of the young people, listen to their stories, ask them questions. And it was decided, my first podcast would be with Reshmi. I knew nothing about her except her short hair, her gaze, and her smile, but it was enough. She had touched me; she was going to touch others. Acting only on intuition, I still prepared a minimum… I gathered some information about her story, listened to Virgile’s advice, and asked him to stay with me to guide me; he would also handle the sound.
Nous voilà quelques heures plus tard, dans une chambre, sans ventilateur pour éviter tout bruit parasite. Il fait chaud. C’est la première fois que Reshmi parle dans un micro, c’est la première fois que je tiens un micro. La chance sourit aux débutants. Nous sommesOn est contentes. Nous sommesOn est à notre place. Nous nous sourionsOn se sourit. Et ça commence.
A few hours later, we are in a room, without a fan to avoid any noise. It’s hot. It’s the first time Reshmi speaks into a microphone, and it’s the first time I hold one. Luck favors beginners. We are happy. We are in our place. We smile at each other. And it begins.
« Reshmi, je vais te poser quelques questions dans l’ordre chronologique de ta vie, si tu ne veux pas répondre, tu n’as qu’à me le dire. Sens-toi libre. »
“Reshmi, I’m going to ask you some questions in the chronological order of your life; if you don’t want to answer, just tell me. Feel free.”
« My name is Reshmi, I am 20 years old (…) In India girls are depending on parents and then on husbands. If you stay there [dans son village près de Raipur], you have to get married. Whatever I want to do, I have to ask. I didn’t like this, so I decided to leave. But my parents did not agree. When I went to Raipur, I knew I couldn’t come back to my house » (extrait du podcast disponible ici).
“My name is Reshmi, I am 20 years old (…) In India girls are depending on parents and then on husbands. If you stay there [in her village near Raipur], you have to get married. Whatever I want to do, I have to ask. I didn’t like this, so I decided to leave. But my parents did not agree. When I went to Raipur, I knew I couldn’t come back to my house.”
En l’écoutant, je pense au poème de Blaise Cendrars.
Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir
(…)
Quand tu aimes il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t’en
(…)
Listening to her, I thought of Blaise Cendrars’ poem.
When you love you must leave
Leave your wife leave your child
Leave your friend leave your girlfriend
Leave your lover leave your boyfriend
When you love you must leave
(…)
When you love you must know
How to sing run eat drink Whistle
And learn to work
When you love you must leave
Don’t cry while smiling
Don’t nestle between two breasts
Breathe walk leave go away
(…)
Je me suis toujours demandée, qui ? Quand tu aimes qui ? On ne peut pas aimer tout court, si ? Reshmi a aimé. On a besoin d’amour et d’espoir pour partir. Elle a aimé l’inconnu, le rêve, la vie pour laquelle elle allait se battre. Elle a aimé toutes les autres femmes qui, comme elle, subissent une injustice liée à leur genre, celles qui luttent et celles qui acceptent. Elle ne part pas seulement pour elle, mais pour toutes les autres filles de son village. Devenir la preuve vivante qu’une vie meilleure est possible.
I’ve always wondered, who? When you love who? Can’t you just love, plain and simple? Reshmi loved. We need love and hope to leave. She loved the unknown, the dream, the life she was going to fight for. She loved all the other women who, like her, suffer from gender injustice, those who fight, and those who accept. She doesn’t leave just for herself, but for all the other girls in her village. To become the living proof that a better life is possible.
« Malgré l’interdiction, le mariage d’enfants se perpétue en Inde. Ils sont de moins en moins nombreux, mais dans les régions pauvres du pays, de nombreuses filles sont encore victimes de cette pratique. » (National Geographic)
Despite the prohibition, child marriage continues in India. They are fewer and fewer, but in the poor regions of the country, many girls still fall victim to this practice. (National Geographic) « L’Asie du Sud compte le plus grand nombre d’enfants mariés (avant l’âge de 18 ans), représentant 45 % du total mondial, dont 34 % vivent en Inde. » (UNICEF) South Asia has the largest number of married children (before the age of 18), accounting for 45% of the global total, 34% of whom live in India. (UNICEF) « Chaque jour, 76 femmes sont contraintes de se marier contre leur gré. En d’autres termes, chaque heure, plus de 3 femmes sont victimes de mariages forcés dans notre pays. » (Kailash Satyarthi Children’s Foundation) Every day 76 women are forced to marry against their will. In other words, every hour, more than 3 women become the victims of forced marriage in our country. (Kailash Satyarthi Children’s Foundation) |
Je suis bouleversée par ce qu’elle me raconte. J’essaie de prendre conscience du courage qu’il lui a fallu pour tout quitter du jour au lendemain, à seulement 18 ans. Je m’efforce de poser des questions pas trop intimes ou dérangeantes en regardant constamment Virgile, attendant son regard approbateur « c’est ok, c’est ok, vas-y ».
Elle continue son histoire. Arrivée à Raipur, c’est compliqué. Il faut trouver de l’argent, un logement. Elle trouve un travail dans un magasin d’habits mais son patron ne la respecte pas. Un peu par hasard, elle découvre LP4Y (Life Project 4 Youth)*, qu’elle rejoint. Un cap important dans sa vie qui lui apporte, au-delà de compétences en tout genre, de la confiance en elle. Elle est alors certaine que le choix qu’elle a fait de quitter ses parents pour construire seule une nouvelle vie, était la bonne décision. Plus de culpabilité. Maintenant elle le sait, elle aime et un jour, la vie lui sourira.
I am overwhelmed by what she tells me. I try to grasp the courage it took for her to leave everything overnight, at just 18 years old. I try not to ask too intimate or disturbing questions while constantly looking at Virgile, awaiting his approving look “it’s okay, it’s okay, go ahead.”
She continues her story. Upon arriving in Raipur, it’s complicated. She has to find money, housing. She finds a job in a clothing store, but her boss does not respect her. By chance, she discovers LP4Y* (Life Project 4 Youth), which she joins. A crucial step in her life that brings her, beyond various skills, self-confidence. She is then certain that the choice she made to leave her parents to build a new life on her own was the right decision. No more guilt. Now she knows, she loves, and one day, life will smile on her.
Elle a tout raconté, mais qu’en est-il de ses cheveux ? La raison qui nous fait nous tenir là toutes les deux, sous le regard bienveillant de Virgile, s’est doucement éclipsée. Inimaginable pour moi de ne pas lui poser la question « Reshmi, why did you cut your hair ? ». «In India, hair is very important to get married. It’s an important part of beauty. I just thought, if I don’t have hair, how is it possible to get married ? So I cut my hair. ».
Perdre ses cheveux, perdre sa féminité. Un moyen simple et concret d’échapper au mariage. Aujourd’hui elle aime sa nouvelle coupe, inspire de nombreuses jeunes femmes qui ont, elles aussi, coupé leurs cheveux.
Elle est professeure et fait des études de mathématiques. Son rêve ? Continuer d’enseigner et partager son histoire. Le chemin n’est pas facile, mais à voir le sourire de Reshmi, ça en vaut la peine.
She has told everything, but what about her hair? The reason we are standing here together, under Virgile’s benevolent gaze, has quietly faded. Unimaginable for me not to ask the question, “Reshmi, why did you cut your hair?” “In India, hair is very important to get married. It’s an important part of beauty. I just thought, if I don’t have hair, how is it possible to get married? So I cut my hair.”
Losing her hair, losing her femininity. A simple and concrete way to escape marriage. Today she loves her new haircut and inspires many young women who have also cut their hair.
She is a teacher and studies mathematics. Her dream? To continue teaching and sharing her story. The path is not easy, but seeing Reshmi’s smile, it’s worth it.
Mathilde d’Alançon
*Life Project 4 Youth est un mouvement présent dans 14 pays dont la mission est le développement de solutions innovantes pour l’inclusion professionnelle et sociale des jeunes (15-24 ans) issus de l’extrême pauvreté et victimes d’exclusion. LP4Y a accompagné 8 870 jeunes adultes depuis sa création. LP4Y est le partenaire principal du film Youth Visions.
Life Project 4 Youth is a movement present in 14 countries whose mission is to develop innovative solutions for the professional and social inclusion of young people (15-24 years old) from extreme poverty and exclusion. LP4Y has supported 8,870 young adults since its creation. LP4Y is the main partner of the Youth Visions film.