Adieu Londres, bonjour Beyrouth : Faire un film pour porter la voix des jeunes « oubliés ».

by Romain Mailliu
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Jeune Syrienne au Liban

 

« Mais si tu es si bien à Londres, pourquoi veux-tu partir ? » Isabelle, maman de l’auteur. 

 

Bonne question. Mais je pense que de rester là où l’on se sent bien trop longtemps, c’est prendre le risque de s’entendre dire à 40 ans : “Quand j’étais jeune, j’aurais dû aller à Jérusalem en vélo, suivre Catherine aux Etats-Unis, accepter ce job à Oulan-Bator…” 

N’est-ce pas ce qui nous tient vivant après tout ? Cette envie de découvrir, d’apprendre, de bousculer son quotidien. Ce difficile équilibre entre le tumulte et l’ordre, ce goût de l’aventure orchestrée ? Ni trop loin de ce que l’on sait faire, ni trop proche de la routine étouffante. Entreprendre des quêtes qui nous dépassent et donc, nous inspirent. 

Ces questions furent les miennes alors que j’hésitais encore à quitter Londres et à  lancer le projet qui avait germé dans ma tête dès juin 2022 : faire un long métrage pour porter la voix des jeunes des bidonvilles. Je ne savais pas faire de film, mais j’avais vécu plus d’un an dans les quartiers pauvres de Jakarta et je savais à quel point les jeunes qui y vivaient étaient inspirants. Je n’étais pas réalisateur, mais je me sentais prêt à monter une équipe et gérer un projet. Je n’étais pas cinéphile, mais j’avais passé suffisamment de temps dans les salles obscures pour en discerner leurs lumières. 

 

Pourtant il fallait quitter Londres, alors que rien ne me poussait à partir. La vie y était douce et je nourrissais de belles amitiés. Moi qui n’ai rien écrit à Londres, voici – à travers la description d’un weekend idyllique – quelques recommandations. 

Londres, c’était un concert de rock et des pintes de Guinness au Lexington le vendredi soir. C’était des lectures sous un érable à Hyde Park le samedi matin, une exposition au Barbican l’après-midi, l’apéritif dinatoire au Hampstead Jazz Club avant de rejoindre un before sur un rooftop de Elephant and Castle puis le sound system du Fold jusqu’au levé du jour. C’était le brunch du dimanche matin chez Sunday in Brooklyn à Notting Hill (goûtez le pancake au chocolat) puis un anniversaire, des jeux de société ou une balade sur les bords de Little Venice jusqu’à Camden Town. C’était le couché de soleil sur la City à Primrose Hill

Vous comprenez alors pourquoi je n’ai pas écrit à Londres. Mon quotidien était agréable oui, inspirant non. Et je n’ai pas le talent nécessaire pour vous satisfaire en sublimant les instants de grâce de la vie quotidienne. Il était grand temps d’aller voir ailleurs. Et la façon la plus simple – radicale ? –  de plonger dans un nouvel univers, était de changer de pays et de métier. 

 

Fold London

Lever de soleil au Fold  – Crédit : Martin Eito

 

Hands up, step back! 

Dire que je n’ai rien appris à Londres serait un peu cavalier. Cette année d’expatriation m’a permis d’affirmer un constat initié il y 3 an et demi. Alors que je devenais ingénieur, notre directrice des études nous posa une question aussi intéressante que vertigineuse : quel ingénieur voulez-vous être ? Intéressante car légitime, vertigineuse car personne dans notre promotion n’y avait vraiment réfléchi. 

Je me rapproche à l’époque de Gaël Giraud et Alain Grandjean – qui deviendra notre parrain de promotion – et je conclus que ce sont la lutte contre le changement climatique et les inégalités qui sont les défis principaux de notre génération. 

Avec le recul, je constate que je suis plutôt d’accord avec moi  – ce qui est suffisamment rare pour être souligné. Le constat s’est même affiné après avoir vécu 

  • 1 an dans les bidonvilles de Jakarta puis 6 mois dans une cité HLM en Seine-Saint-Denis pour accompagner des jeunes adultes à obtenir un travail décent
  • 2 ans entre Paris et Londres, pour accompagner des organisations à construire des modèles d’affaires inclusifs et durables. 

 

Le ton de la suite de cet article vous paraîtra peut-être un peu académique. Mais il semble indispensable de rappeler quelques faits, pourtant moins connus – et peut-être plus importants ? – que les dernières révélations sur la vie trépidante du Harry et Megan, ma love story anglaise préférée ! 💞 

 

Constat 1 : nous nous dirigeons vers un futur indésirable.  

Le dérèglement climatique devient de plus en plus préoccupant. La température du globe a augmenté d’environ 1 degré depuis 1880. Pour mettre ce chiffre en perspective, pendant l’air glaciaire, la température à augmenté de 5°C pendant 10 mille ans. Ce réchauffement accéléré entraîne une multitude de conséquences, comme la disparition de 69% des animaux vertébrés depuis 1970. Ou encore l’augmentation des catastrophes naturelles, multipliées par 5 ces 50 dernières années

Les scénarios d’avenir sont plus ou moins catastrophiques en fonction de si nous décidons d’agir ou non, et à quelle vitesse. Dans un monde à +4 degrés en 2100, c’est à dire si nous n’agissons pas dès maintenant, 3⁄4 de la population mondiale serait soumise à des températures mortels au minimum 20 jours par an

 

Inondation de Jakarta

Inondation de Jakarta (2020) – Photographie : Romain Mailliu

 

En parallèle, une crise économique se dessine. L’inflation en est un premier indicateur, mais le vrai défi est la diminution des énergies fossiles disponibles sur terre. Ces énergies ont été les catalyseurs de la croissance économique depuis la première révolution industrielle. Avec un litre d’essence, on produit 2 à 4 kWh d’énergie mécanique, l’équivalent de 100 (bonnes) paires de bras pendant 24h. Ces énergies ont donc permis l’accélération de la production – avec plus de machines – et l’augmentation de la  croissance économique depuis la fin du XVIII siècle. Seulement, les énergies fossiles portent bien leur nom. Elles viennent des fossiles, principalement végétaux, qui se sont décomposés pendant des millions d’années. Ces énergies ne sont donc pas renouvelables à l’échelle humaine. Et bien que les experts ne soient pas tous d’accord quant à la date exacte de leur rupture de stock, ils s’accordent tout de même à dire que ce sera pour le XXIème siècle.

 

Il y a également une incertitude politique, avec la guerre en Ukraine, les tensions entre la Chine, Hong Kong, Taiwan, et les conflits moins médiatisés mais qui perdurent : Ethiopie, Yémen, Myanmar, Haïti, Syrie… Les courants politiques se polarisent comme en France, avec la montée des extrêmes, Donald Trump qui succède à Barack Obama en 2016, Jair Bolsonaro à Luiz Inácio Lula da Silva entre 2019 et 2022, ou encore la leader d’extrême droite Giorgia Meloni présidente du Conseil Italien depuis 2022. On sent que le corps électoral hésite, entre la mondialisation – qui est parfois limitée à l’image d’un grand supermarché international – et un repli sur soi – le village de gaulois face aux méchants envahisseurs. Mais gardons en tête que la démocratie est encore loin d’être un système universel. En 2021, seulement 8% de la population mondiale vit sous une “démocratie pleine”, soit le résultat le plus faible depuis 2006. S’ajoute à cela 85% de la population mondiale a connu un recul de la liberté de la presse au niveau national au cours des cinq dernières années

 

manifestation à Hong Kong

Manifestation à Hong Kong (2019) – Crédit AFP

 

La situation climatique, économique et politique entraîne donc de nombreux défis, comme l’accès à de nouvelles énergies, l’adoption d’un comportement plus sobre, la réaffirmation de notre citoyenneté ou encore l’inclusion de milliers de migrants politiques et climatiques. 

 

Constat 2 : Jeunes et moins jeunes agissent pour construire un futur désirable. 

Il y a les jeunes adultes qui deviennent des leaders pour le climat et la justice sociale. A l’échelle mondiale, citons Greta Thunberg qui a 19 ans est un symbole de la lutte contre le réchauffement climatique. Ou encore Malala Yousafzai qui devient prix Nobel de la Paix à 17 ans pour son combat  pour le droit des filles à l’éducation. 

Outre ces super stars dans lesquelles nous peinons à nous identifier tant elles sont impressionnantes, les enjeux environnementaux et sociaux fédèrent de plus en plus de jeunes.  En France, quand on regarde les sondages sur les préoccupations de la jeunesse et quand on écoute les discours de fin d’études, on comprend que la lutte contre le réchauffement climatique et la justice sociale deviennent pour beaucoup une priorité. On voit ainsi apparaître une génération de jeunes journalistes, économistes, fonctionnaires, ingénieurs, qui décryptent ces sujets avec justesse et fraîcheur jusqu’à devenir des références en la matière, là où leurs aînés pourtant alertés depuis des années ont failli. Mais ne tombons pas dans la confrontation des générations. 

 

Jeunesse Libanaise

Des étudiantes libanaises manifestation à Beyrouth (2019) – Crédit : AFP

 

Il y aussi  les “moins” jeunes, lucides sur le rôle qu’ils ont pu jouer dans la construction d’un futur non désirable et soucieux de changer les choses. 

Certains ont pris le temps de remettre en cause les modèles de sociétés au sein desquelles ils se sont construits, de plonger dans les travaux du GIEC, de lire limit to growth et de convenir, comme 97% des scientifiques, que l’homme est responsable du réchauffement climatique. L’envie d’agir est également émotionnelle, comme encouragés par les enfants, qui comprennent – avec tout le bon sens qu’on leur connaît – qu’une croissance infinie n’est pas possible dans un monde aux ressources finies.

Ces moins jeunes ont l’expérience, le recul et un pouvoir d’action précieux, qui s’articulent avec l’énergie, l’absence de limite, la créativité  et l’envie d’agir de la jeunesse. 

 

Constat 3 : près de 30% des jeunes adultes vivent dans la grande pauvreté, au milieu de catastrophes naturelles et de crises politiques et pourtant, sont absents des discussions à leurs sujets. Ils sont pourtant les premiers à en expérimenter les conséquences. 

Au milieu des tensions politiques et économiques, des désastres climatiques, ces jeunes sont devenus des experts de l’urgence et de la résilience. Recyclage, sobriété, seconde vie, ils adoptent depuis des dizaines d’années – sans avoir le choix – des modes de consommation qui s’avèrent être les solutions les plus efficaces pour réduire les grandes crises modernes.  

Ces jeunes femmes, qui à 22 ans élèvent déjà 2 enfants en parallèle de leurs études et de leur travail, ces jeunes hommes, qui ont fui la guerre et l’oppression puis traversé le désert et la mer jusqu’à construire une nouvelle vie à des milliers de kilomètres de leurs pays d’origines, ces jeunes adultes en situation de grande pauvreté qui n’ont pourtant pas de pauvres idées, ambitions, valeurs, incarnent sans le savoir tout ce qui nous fait rêver. Résilience, détermination, ambition, courage… ces “soft-skills” qu’on nous apprend à développer dans des masterclass avec des entrepreneurs à la mode, toutes sont incarnées – et souvent de manière bien plus significative – par ces jeunes adultes qui malgré la pauvreté, ont décidé de faire partie d’un monde qui vaut la peine d’être préservé. 

 

Une famille Syrienne à Beyrouth, Ghada 31 ans, Sammer 4 ans, Abeer 23 ans  – Photographie : Gwenvaël Bigi (2023)

 

Ce sont aussi ces jeunes adultes qui contribuent le moins aux catastrophes en cours. A titre d’exemple, la moitié la plus pauvre de la population mondiale est responsable de seulement 10 % des émissions de CO2 alors qu’environ 50 % des émissions sont imputables aux 10 % des habitants de la planète les plus riches. Pourtant le changement climatique plongera jusqu’à 130 millions de personnes dans la pauvreté au cours des 10 prochaines années et entraînera la migration de plus de 216 millions de personnes d’ici 2050

Néanmoins, ces jeunes, on ne les entend pas sur France Inter quand nous expliquons que l’écart entre les riches et les pauvres augmente, on ne les voit pas sur la BBC quand nous débattons sur les conséquences du réchauffement climatique dans le monde, on ne lit pas leur éditoriaux dans le New York Time quand on nous écrivons sur la sobriété heureuse. 

Ces jeunes ne sont pas non plus assez représentés dans les institutions qui les défendent. Par exemple, Neeraj, un jeune indien qui a grandi dans les bidonvilles et dirige (depuis le logement de ses parents) un centre de formation à l’informatique et l’anglais pour les membres de sa communauté, a participé à un séminaire de l’ONU pour proposer des solutions innovantes à l’Objectif de Développement Durable visant l’accès de tous à une éducation de qualité. 200 jeunes ont été sélectionnés parmi 3000 candidats de 62 pays,   venant des meilleures universités – Berkeley, Columbia, Cambridge, Harvard, Oxford – avec les meilleurs débuts de carrière – dans des gouvernements, à la manque mondiale, le FMI, consultants ou banquiers… Combien venaient des bidonvilles ? 1 : Neeraj

 

 

Youth Visions : Faire un film pour porter la voix des jeunes en situation d’extrême pauvreté jusqu’à la Tribune des Nations-Unis. 

 

« Et la façon la plus simple – radicale ? –  de plonger dans un nouvel univers, c’est de changer de pays et de métier. » Romain Mailliu 

 

La liberté d’expression n’est-ce pas le droit de pouvoir se citer comme on convoquerait un concept de Deleuze ou un poème de Neruda ? 

Ou la liberté de vous proposer une question bien plus intéressante : 

Pourquoi avons-nous tant à gagner en écoutant les jeunes adultes qui vivent dans une situation de grande pauvreté ? A les inclure dans la construction de notre futur à tous ?  

C’est finalement cette question qui m’a poussé à quitter Londres direction Beyrouth et de lancer le projet Youth Visions, avec Rachel (réalisatrice), Mathilde (responsable communication) et Gwen (chef opérateur) et le soutien de l’ONG LP4Y (avec laquelle j’étais déjà parti en Indonésie). 

Nos objectifs : 

  • Représenter les jeunes en situation d’extrême pauvreté
  • Sensibiliser les jeunes sur la justice sociale, les situations d’exil, le réchauffement climatique et place de la femme.
  • S’engager dans la construction d’un futur en commun 

 

>> Par ici pour suivre les nouvelles du film ! 

 

Car ce que nous montre ces jeunes les plus pauvres, c’est un espoir infini, même lorsqu’il est ténu, la possibilité d’une force incroyable, une curieuse clairvoyance, et dans certains cas – pourtant extrêmes – l’absence d’amertume. Quel enseignement tirer de cela, si ce n’est une profonde confiance dans la possibilité de construire un futur meilleur ?”

Rachel Cisinski 

 

Jeune Libanaise

Amira, 18 ans, prend des photos lors d’une remise de diplôme LP4Y, Liban 2023 – Photographe : Gwenvaël Bigi

 

A suivre… 

 

Romain Mailliu 

 

 

Couverture :  Visite de la famille de Khadija (23 ans) à Karantina, un quartier fortement touché par l’explosion du port de Beyrouth– Photographie : Gwenvaël Bigi (2023)

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