Avec quatre amis, nous sommes partis huit jours en autonomie sur le GR 30, baptisé la Route des lacs d’Auvergne.
Cet article est le deuxième et dernier volet d’une série sur le GR30. Pour (re)découvrir le premier, cliquez ici !
Des lacs volcaniques, nous en avons croisé une quinzaine, c’est-à-dire presque autant que d’êtres humains. Cette solitude était d’ailleurs ce qui m’attirait vers la « Terre du Milieu » française. Un désert humain où demeure l’essentiel : l’eau, le fromage, les églises du XIIème et les vaches. La marche arrière est cassée, c’est parti pour une promenade de 200km sur quelques pages !
Pour les futurs randonneurs : la liste des étapes ainsi que l’itinéraire sont en fin d’article
3. Égliseneuve d’Entraigues – Picherande (42km) : L’épreuve du désert
Les estives auvergnates avaient des airs de western spaghetti. La terre brûlante voletait contre les carcasses des arbres blanchis. Un ruisseau, amaigri, souffletait sa dernière exaltation de vie qui ressemblait plutôt à l’expiration d’un condamné. Au loin, des pâturages, sans fin. Et sans ombre. La diagonale du vide est un concept politico-économiste pour désigner un ensemble de territoires avec moins d’habitants que de vaches. Une expression imprécise pour décrire notre chemin depuis Égliseneuve d’Entraigues. La meilleure boussole est l’instinct. Celui-ci me prévint de notre arrivée à destination : le désert.
L’allégorie du désert prend de nombreux visages dans l’imaginaire collectif. Il y a celui des aventuriers d’autrefois (St Exupéry, Lawrence d’Arabie…) dont certains ont tacheté le sable de leur sang, comme Balavoine à bord de son Icart à ailes motorisées. Il y a aussi le désert des tentations, plus spirituel, celui où Jésus a foulé ses pieds il y a 2 000 ans, pendant 40 jours, sans eau ni nourriture. Cette épreuve a ensuite irrigué toute la spiritualité chrétienne pour décrire les moments de lutte intérieure intense de certains grands saints caractérisés par une sécheresse intérieure destinée à vérifier la « solidité de sa foi et de son désir d’aller vers Dieu » selon Saint Jean de la Croix. Plus récemment, il y a les chanteurs et les politiques, qui traversent eux aussi des périodes de désert, sans succès. Ce fut le cas de de Gaulle entre 46 à 58, de Johnny dans les années 70, ou encore de Chirac au début des années 90 et désormais de Booba.
De manière générale, le désert, c’est la tristesse et la solitude, ce couple désespérant qui revient, fidèlement, comme le vent et la pluie dans les montagnes. Blaise Cendras écrivait, dans sa Prose du Transsibérien, « il n’y a plus que la Patagonie, la Patagonie qui convienne à mon immense tristesse« . L’Auvergne sera-t-elle ma Patagonie ? Un refuge à mes larmes ? Mais ici, le soleil aspire chaque goutte d’eau et de vie. Car un désert, c’est avant tout une terre inhabitable. Ne restait plus qu’à en partir. Désormais, je comprendrais pourquoi les spots publicitaires de l’Arabie Saoudite mettent en valeur des touristes en quad plutôt qu’à pied !
Sur les plaines de l’Esclauze, le soleil nous attendait à la sortie de chaque bosquet pour nous asséner le coup final, le poing fatal. L’eau diminuait dangereusement dans nos gourdes après avoir dépassé la ferme d’Auger. Les fontaines dans les villages s’étaient tues depuis la canicule. Les maisons, aveugles avec leurs volets… La soif est une menace bien plus aiguisée que l’épée de Damoclès. Les pastilles de chlore suffiront-elles ? Arriverons-nous au prochain lac dans 15, 10 ou 8 km… « ça tourne dans ma tête » semblait murmurer, dans un karaoké funèbre, mon camarade de marche (lien vers la playlist Spotify spéciale GR30 !). Une insolation le taraudait depuis quelques kilomètres et semblait s’insérer en lui comme la ronce autour d’un arbre vert. Trente-sept degrés à l’ombre : combien sur le sol volcanique des estives ? « C’est le dernier compagnon de la rando… pourvu qu’il tienne ! » me surpris-je à espérer.
Les emmerdes arrivent toujours par pallier. Le soleil tambourinait contre nos crânes… et une insolation se déclencha dans la troupe ! Trente kilomètres étaient nécessaires pour arriver au lac du Taurons qui se trouva être un mirage vaseux où se noyèrent nos illusions. Après trois jours sans douche, le contrecoup se fit sentir. Selon Napoléon, « le meilleur soldat n’est pas tant celui qui se bat que celui qui marche ». Sur les rives de ce lac inabordable, nous nous étions ensablés. A 20h, je mastiquais un morceau de pain sec accompagné d’une sordide armée d’arbres et de moustiques. Et me fis la promesse que, le lendemain, je réciterai la comptine inverse : le bonheur revient aussi par pallier !
Les rives inabordables du Lac du Taurons
A 6h30, l’heure de la chasse à l’approche, nous sortîmes de la forêt maudite comme des chevreuils, assoiffés et affaiblis. Aussitôt, une petite vieille veillant sur ses platebandes nous proposa de remplir nos gourdes. Le compteur des bonnes nouvelles était lancé ! Plus que 10 kilomètres avant de rejoindre un village. À coups de tambour, nous y arriveront bien !
Une fois au village de Saint-Gènes-Champespe, l’épicerie que nous avions visée se révéla être… une boulangerie-épicerie-restaurant tenue par une femme capable de restructurer un pays – un continent ! – à coups de poigne et de bon sens. Elle nous servit un repas goliathesque pour un prix davidesque qui nous rendit le sourire des bienheureux et qu’une sieste prolongea définitivement.
L’Hôtel du Midi, une oasis au milieu du désert…
La sieste est d’ailleurs souvent le meilleur moment de la journée. Moins angoissante que la nuit et plus reposante que tout le reste. Seul instant journalier où parler est inutile. A l’ombre de Saint-Gènes, je fermais les yeux et écoutais les clapotis des poissons ainsi que les cloches de l’église. Je pouvais presque imaginer un pêcheur immobile ou bien des paysans prenant leur pause déjeuner auprès d’un bœuf fatigué. Cette vieille France meurt, peut-être pour le meilleur. Mais je ne peux m’empêcher d’en être affecté. Le progrès est certainement une erreur, mais personne ne le contestera plus. Mise à part les lacs pollués, les poissons mourants, les campagnes abandonnées et les champs surexploités. « L’homme est un animal qui a trahi, l’Histoire est sa sanction » disait Cioran. Je pensais aux récits provinciaux de ma grand-mère maternelle, à ses réflexions d’un autre temps. Banlieusard depuis toujours je n’ai jamais vécu, comme dans certains romans de Balzac, la douce et ennuyante vie de village. Malheureusement ou pas, je n’ai pas le talent de Modiano pour décrire ce manque. Je me réveilla. Nos affaires étaient sèches et l’herbe aussi. Même d’ici il fallait partir. Condamner à continuer.
Mais en auto-stop cette fois-ci ! L’occasion d’éprouver une théorie vieille comme la parabole du bon samaritain : ce sont les voitures les plus rouillées qui s’arrêtent, « emplies de compassion », pour abaisser un pouce levé. Une aide-soignante nous fit monter dans une Clio croulante. Elle est le dernier rempart protégeant quatre communes du néant médical. Et, bien souvent, l’unique personne à qui se confier. Dans un monde meilleur, cette ministre des âmes serait admirée et récompensée. Les aides-soignantes sont les nouveaux curés de campagne. Un apostolat à coup de fange et de gel hydroalcoolique. Bernanos faisait dire à l’un de ses curés qu’: « un prêtre ne saurait avoir de ses propres intérêts la claire vision, si directe – on voudrait dire si ingénue, si naïve – des enfants du siècle. Calculer nos chances, à quoi bon ? On ne joue pas contre Dieu ». A la frontière entre le département du Puy-de-Dôme et du Cantal, dans un désert vide de tout sauf de l’essentiel, cette femme participe aux conditions d’un paradis sur terre.
Arrivés à Picherande, nous vidâmes un pastis qui dissipa notre trouble d’avoir eu recours à un moteur. Un petit jaune bien tassé qui, une fois installé, appela à un deuxième verre dans le camping où nous montâmes la tente pour la nuit. Le chemin arrivait bientôt à son terme. Mais pour en voir le bout, il restait une étape, et son ultime sommet, le Puy de Sancy.
4. Picherande – Mont Dore (25km) : L’ascension du Puy de Sancy
Le GR30 redémarrait calmement. La route semblait prendre une lente inspiration avant d’expirer ses dénivelés positifs. Au loin, des fermes immuables m’évoquaient l’Irlande des cartes postales. En réchauffant la terre et la pierre, le soleil exhumait des essences florales, les mêmes depuis des siècles, mais toujours pleines de promesses nouvelles. En randonnée, tout est prétexte pour comparer les paysages à ceux des films du Seigneur des Anneaux. Nous étions comme dans les plaines du Rohan. Prêt à entamer la montée du Sancy. A conquérir le Mordor.
Comme un lapin surpris, un randonneur surgit précipitamment entre deux bosquets de la forêt qui longe le hameau de la Morangie. Père de deux enfants, il avait laissé dans une voiture son portable, sa carte bancaire et sa vie pour marcher seul neuf jours. La clef suspendue autour du coup, il semblait rechercher une porte qui ouvrirait… quelque chose. Nous en avons rencontré quelques-uns de ces solitaires, entre 30 et 50 ans, partant sur les chemins chercher des certitudes perdues en cours de route. Peut-on se battre contre quelque chose qu’on ne voit pas ? La vie qui passe, des relations qui s’effacent… Un miroir n’est pas suffisant pour se regarder. 26 ans d’existence non plus, ai-je parfois l’impression. « On peut conserver un certain niveau de vertu, mais on n’a jamais pu conserver un certain niveau de vice. Cette route descend toujours plus bas » moralisait Chesterton. Peut-être la réponse est-elle là, sous nos pieds : marcher permet bêtement de remonter la pente.
Après huit jours de quasi-solitude, nous partageâmes l’ascension finale du Sancy avec… des centaines de touristes ! A partir du col du Couhay, le GR30 croise en effet la route du GR4 qui est précédée d’un parking 200 mètres plus bas. De l’autre côté du Sancy, un téléphérique facilite le transport de la marée humaine jusqu’à des escaliers en bois. Certains marchaient en chaussettes-claquettes, d’autres les yeux rivés sur leur montre Garmin… Bien sûr que nous aurions préféré être seuls. Et de gravir le sommet comme des aventuriers découvrant l’Everest pour la première fois. Mais nous ne sommes pas des explorateurs. Encore moins des alpinistes. En dépit des différences de parcours, ces randonneurs du dimanche étaient donc nos camarades du jour. Et c’est avec eux que nous avons partagé notre découverte ébahie de l’Auvergne depuis son sommet.
De l’autre côté du Sancy (Source de la photo)
Du haut du Sancy, on devinait l’itinéraire des sept derniers jours. Le village d’Orcival, les vaches de Saint Nectaire, l’église de Murol, le lac Pavin, le bar de Compains, le puy de Montcineyre… Chacune de ces étapes s’infusait dans ma mémoire, dégageait un effluve distinctif. Lorsque les fleurs des tilleuls tombent à la fin du mois juin, leur parfum continue d’imprégner le vent pendant quelques jours. Comme une dernière danse olfactive. Ou un ultime « au revoir ».
L’horizon me ramena à “mes amours”. Un regard m’éblouit depuis quelque temps. Je la dévisage sans la fixer, sans parvenir à l’accrocher. Liras-tu cet article avec la même ferveur que je l’écris ? Je ne sais plus. Les périodes de désert et de bonheur ont ceci en commun d’être éphémères. Mais, aussi, de valoir le coup d’être vécues. La vie est un long doute tranquille.
J’y pensais en descendant le Sancy par les crêtes. Les paysages sans limites se réorganisaient progressivement. Les sommets reprenaient leurs places dans les hauteurs et les villages se retranchaient au sol. Sortir d’un GR n’est jamais facile. « Nous nous quittons pour toujours, il le faut, parce que nous n’aurions jamais dû nous rencontrer » écrivait Tchekhov dans La dame au petit chien. Pendant plusieurs jours, notre unique objectif a été de suivre deux lignes parallèles : une rouge et une blanche. Pourquoi n’y a-t-il pas des repères aussi évidents pour guider nos vies ? Fin de la descente. Arrivée à Mont Dore. La boucle était bouclée. Le reste ne faisait que commencer.
Texte : Baudouin Duchange
Notre itinéraire :
Jour 1 (début de la marche à 15h30) : La Bourboule – Lac de Guéry (10km)
Jour 2 : Lac de Guéry – Lac de la Cassière (25km)
Jour 3 : Lac de la Cassière – Un peu après Olloix (20km)
Jour 4 : Un peu après Olloix – Entre Courbanges et Besse-en-Chandesse (25km)
Jour 5 : Entre Courbanges et Besse-en-Chandesse – Compains (25km avec des détours)
Jour 6 : Compains – Lac de la Crégut (33,5km)
Jour 7 : Lac de la Crégut – Picherande (30km avec autostop)
Jour 8 : Picherande – Mont Dore (25km)
Tu connais ou hésites à emprunter cet itinéraire ? N’hésite pas à laisser un commentaire (partage d’expérience, question…) !
8 comments
Une belle plume et de bonnes jambes!! Merci pour ce partage.
La promenade semblait idyllique quand soudain on tombe sur ces infâmes passerelles qui défigurent nos paysages sous le prétexte fallacieux de rendre la nature [dénaturée] accessible à tous …
Pas besoin d’aller au bout de monde pour découvrir de telles merveilles !
Ça fait très envie ! Merci pour ce partage !
belles photos, effectivement l’aventure n’a pas besoin d’être loin, si tu as envie viens me suivre en Bourgogne !
Voyager, c’est Vivre, qu’importe la distance, qu’importe les lieux, l’essentiel se trouve dans la notion du départ, de respecter les lieux dans lesquels, vous êtes invités mais aussi les habitants de ces belles régions de France ou d’ailleurs. Merci pour ce très beau reportage.
Tout simplement magnifique!!! Un grand merci
Les photos sont canons ! Effectivement, pas besoin d’aller en Nouvelle Zélande pour voir la Terre du Milieu !