Avec quatre amis, nous sommes partis huit jours en autonomie sur le GR 30, baptisé la Route des lacs d’Auvergne.
Des lacs volcaniques, nous en avons croisé une quinzaine, c’est-à-dire presque autant que d’êtres humains. Cette solitude était d’ailleurs ce qui m’attirait vers la « Terre du Milieu » française. Un désert humain où demeure l’essentiel : l’eau, le fromage, les églises du XIIème et les vaches. La marche arrière est cassée, c’est parti pour une promenade de 200km sur quelques pages !
Entamer la lecture d’un article et démarrer une randonnée sont deux actions complices. On commence par dérouiller doucement la tête ou les jambes, puis à suivre de manière méfiante des idées ou le balisage, et, enfin, à s’abandonner dans un texte ou un paysage. Bon courage !
— Pour les futurs randonneurs : la liste des étapes ainsi que l’itinéraire sont en fin d’article —
1. De La Bourboule à St Nectaire (67km) : les mouvements de l’âme
Les premiers kilomètres d’une randonnée servent à se débarrasser de la crasse intérieure. Pour un parisien de 26 ans, il s’agit de laisser s’échapper un fracas de pensées polluées par l’inquiétude permanente du futur et le ressassement inlassable du passé. L’excellent poète irlandais William Butler Yeats écrivait que « l’intellect de l’homme est forcé de choisir : ou la perfection de la vie, ou la perfection du travail ». Ce type de dualité m’obsède et obscurcit mes doutes lors de certaines décisions. Peut-être parce que j’en suis arrivé à la crainte qu’il est très facile de rater les deux ! Arrivé sur le premier sommet, le Puy Gros, qui a des allures de danse écossaise avec ses pâturages quadrillés par le soleil, les choix existentiels me semblèrent bien vains. « Oasis, pétou, j’fais ma petite balade » ajouterait Naps (lien vers la playlist Spotify spéciale GR30!).
Le lac de Guéry est le lieu idéal pour consentir à l’instant présent. Et, par la même occasion, planter la tente. Situé à 1244m d’altitude, il est l’unique lac en France à accueillir en hiver les amateurs de la pêche au trou, une technique amérindienne pour dénicher du poisson à travers la glace.
Pour marcher il me faut un but, je n’apprécie pas l’effort pour l’effort. Le graal peut être les ruines d’un château, une bière, un point de vue « imprenable » selon Tripadvisor, ou… aller à la messe du dimanche à Orcival. De loin, le chevet – l’extrémité derrière l’autel – de la basilique romane du 12ème siècle me fit penser à une large grotte creusée par l’érosion du temps, aux fondations robustes évoquant une cascade figée de pierres sur quatre niveaux. Comme si la basilique continuait imperceptiblement à s’élever par un effet géologique !
Contrairement au calcaire blanc, la pierre volcanique locale ne brûle pas la rétine lorsqu’elle est exposée soleil. Seulement le pauvre cœur d’un randonneur. L’historien George Duby écrivait que « les chrétiens du XIème siècle se sentaient toujours totalement écrasés par le mystère, par le monde inconnu que leurs yeux ne pouvaient entrevoir, mais dont le règne s’étend vigoureux, admirable, inquiétant par-delà les apparences ». A l’intérieur, l’imposante épaisseur des murs glaciaux contraste avec la fine lumière transperçant une double série d’ouvertures. C’est bien une atmosphère mystérieuse qui prédomine, et qui invite au recueillement le plus profond pour déceler, en soi, la présence d’un Christ qui guide dans l’obscurité. Plus bas, la crypte inférieure de la basilique est le genre d’endroit où l’on ne peut se mentir à soi-même. « La nuit, chacun doit soutenir la réalité sans aucune aide », disait l’anthropologue américain Loren Eiseley. Je crois que la Basilique Notre-Dame-des-Fers d’Orcival aide chaque personne qui y entre à soutenir sa réalité. La nôtre était de continuer notre périple sous la canicule auvergnate pendant un jour et demi pour rejoindre le lac d’Aydat. Alors, allons-y !
S’éloignant des premiers sommets (Puy Gros, Col de Guéry, Passage de l’Aiguillon), le chemin se couvre d’arbres qui dissimulent l’horizon panoramique. Sous nos pieds commencent à se former des assemblages tectoniques rappelant les différents stades de vie d’un volcan. Certains pas douloureux nous font presque arriver à prononcer correctement « Eyjafjallaljökull », le nom du volcan islandais dont le nuage de gaz avait paralysé l’Europe en 2010. « C’est pas fini tant que la cloche n’a pas sonnée » hurlait le coach de boxe de Rocky Balboa dans le cinquième opus. Pas après pas, voilà comment on arpente un sentier.
Le temps de préparer (longuement) le café, la patronne du Julcanque, un sympathique presse-tabac-potins qui campe au-dessus du lac d’Aydat, m’apprit le prénom de tous les petits vieux qui viennent chercher leur dose de blanc à 10h, leurs histoires de coucherie d’avant-guerre (mais laquelle ?!), la recette de la tarte aux abricots, les particularités géologiques du lac de Guéry ou encore quelques bonnes raisons d’idolâtrer le club de rugby ASM Clermont Auvergne… mais pas la signification de l’appellation « Julcanque » ! Y-a-t-il un lien avec notre Jul national ? Ou alors les racines étymologiques seraient-elles à chercher dans l’Occitan ? Si vous avez des suggestions, des interprétations, n’importe quoi, laissez-moi un commentaire à la fin de l’article !
« Saint Nectaire : 3 kilomètres ». Mais cela, mon estomac le savait déjà. Depuis le début de la matinée, je calculais mentalement le chemin à parcourir avant ma première bouchée. Toutes les fermes du canton travaillent pour ce dieu païen. Et, de cause à effet, toutes les saintes vaches également. Une symphonie sensorielle galvanisa ma bouche à l’entrée du village. La récompense arrive, elle le savait ! Mais avant le casse-croûte du randonneur, un bénédicité s’imposait dans l’église de Saint-Nectaire, dédiée au saint éponyme qui a évangélisé la région. Sur les pierres, bien plus claires que celles d’Orcival, la lumière du jour résonne comme l’écho sur une montagne. Le reflet d’un vitrail sur une chapelle latérale retint particulièrement mon attention. « Pour moi, un vitrail est une séparation transparente entre mon cœur et le cœur du monde. Le vitrail doit être sérieux et passionné. C’est quelque chose qui élève et exalte l’âme. C’est la perception de la lumière qui donne la vie » disait Chagall. Un morceau de Saint-Nectaire plus tard, je fus convaincu que le fromage est un art aussi vivant que le vitrail. Ameuhn !
2. De St Nectaire à Égliseneuve-d’Entraigues (55,5km) : la bonne fatigue
Heureusement, on ignore parfois ce qui nous attend à la prochaine étape ! Le lac de Chambon n’a aucun intérêt, comme nous le découvrîmes sur place. Mise à part pour les clermontois qui souhaitent rafraîchir leur graisse dans la crème solaire stagnante sur l’eau. Face à ce débordement touristique, ma misanthropie se crispa plus rapidement qu’une plume dans un bol d’huile brûlante. « Ici on ne connaît des autres que la distance qui nous en sépare » écrivait Maria Pourchet. Je ressentis violemment cette vérité, même si je m’en voulus de l’éprouver. Quand le masque tombe, dans un groupe de quatre, mieux vaut ponctuellement faire cavalier seul pour ne pas contaminer les autres membres avec sa mauvaise humeur !
Une fois dépassés les ruines du château fort de Murol (XIIème-XVIème) et le lac Chambon, les paysages se dégagent de nouveau, laissant circuler librement le soleil sur les estives chauves d’Auvergne. Ces pâturages d’été, spécifiques aux zones montagneuses, ressemblent à des paysages lunaires. Avec la particularité d’être entièrement dédiés aux vaches. Il y a les ferrandaises, qui ont donné leur nom à la capitale auvergnate, les magnifiques aubracs, mes préférées ou encore les salers. Charles Wright, l’écrivain du Chemin des estives, a rédigé quelques réflexions stimulantes sur l’apport théologique des vaches. Extrait : « Nous avons besoin des vaches. Ces bêtes détiennent un secret, une sagesse, leur pas lent est un recours contre l’épilepsie permanente. […] Pour moi, ces bêtes sont des maîtres. Des professeurs en vie mystique. Dans les prés, elles regardent d’un œil étonné le passant s’agiter, avec l’air de se demander : “Insensé, après quoi cours-tu ?” Contrairement à ce qu’on pense, elles ne font pas que ruminer des touffes d’herbes, elles ruminent aussi le temps. De fait, les vaches ouvrent à une autre temporalité. Elles enseignent la lenteur et l’art de tendre l’oreille, de rêver, de flâner ».
S’il y a un Dieu pour les ivrognes, il y en a certainement un pour les randonneurs. Bien après Courbanges, en poursuivant sur un long passage dans des paysages dignes des taïgas mongoles, se dévoila le rêve de tout marcheur : le « coin parfait pour dormir » ! Un lieu de camp qui justifie une randonnée à lui seul. Et qui s’offrit à nous sans réserve. Protégé par des haies et taillis sauvages, une petite rivière réjouie traversait une herbe jaunie par le soleil. L’eau murmurait une mélodie oubliée des hommes. Autour, des estives à perte de vue, entourées par d’immémoriales chaînes de montagnes, vestiges d’un ancien monde volcanique. De même qu’on ne nomme pas l’Éternel chez les juifs, ce paradis n’est indiqué ni sur le topoguide du GR ni sur la carte IGN. Fermez les yeux : vous y êtes ?
Le lac Pavin ressemble à une larme posée sur une feuille éblouie. La forêt qui l’encercle a l’air de conserver le souvenir d’un rêve perdu et de le protéger, comme la chair enveloppe le cœur. Un lieu mélancolique coïncidant avec notre situation puisque notre groupe allait connaître sa première ablation. Des Quatre Fantastiques nous n’étions plus que trois mousquetaires. Un ajustement douloureux s’annonçait. Car une randonnée est avant tout une routine bien huilée. Chacun joue en effet un rôle inconscient : faciliter la discussion, porter la tente, tenir la carte, l’organisation ou la dispersion, marcher en tête, préparer le café le matin ou la tisane le soir… Et les conséquences n’ont pas attendu : 400 mètres après nos adieux, nous avons emprunté un mauvais GR sur plusieurs kilomètres !
Le lendemain, Égliseneuve d’Entraigue signait la fin de parcours d’un autre compagnon de marche. Après une lessive dans la fontaine du village, un restaurant, une sieste et une poignée de main, nous nous quittâmes comme un même fleuve qui se sépare en deux bras pour devenir un défluent. Le courant nous entraînait chacun sur un GR différent.
Nous n’étions donc plus que deux pour affronter la deuxième partie de notre périple. Une suite qui allait se révéler plus éprouvante, plus désertique et plus spectaculaire. Une suite à découvrir en cliquant ICI dans un deuxième et dernier article à ne pas louper !
Notre itinéraire :
Jour 1 (début de la marche à 15h30) : La Bourboule – Lac de Guéry (10km)
Jour 2 : Lac de Guéry – Lac de la Cassière (25km)
Jour 3 : Lac de la Cassière – Un peu après Olloix (20km)
Jour 4 : Un peu après Olloix – Entre Courbanges et Besse-en-Chandesse (25km)
Jour 5 : Entre Courbanges et Besse-en-Chandesse – Compains (25km avec des détours)
Jour 6 : Compains – Lac de la Crégut (33,5km)
Jour 7 : Lac de la Crégut – Picherande (30km avec autostop)
Jour 8 : Picherande – Mont Dore (25km)
Tu connais ou hésites à emprunter cet itinéraire ? N’hésite pas à laisser un commentaire (partage d’expérience, question…) !
7 comments
Bravo Baudoin, belle écriture, et venant de visiter toutes ces églises, non à pied….nous partageons ton émerveillement, moi aussi j aime beaucoup les aubracs, on attend la suite !
Eh bien Baudouin, l’été se termine… Assise a été atteint…tu viens à point pour nous motiver sur de nouveaux sentiers !! Merci pour ces lignes et photos !
Cela donne envie pour une prochaine rando.
Quelle magnifique initiative dans une si belle région!!! Très beau reportage. Merci à vous les gars de nous avoir fait vivre cette aventure qui donne envie…Un jour prochain…
Féerique ! Merci pour ce voyage matinal !
cher Baudouin , je viens de passer un moment exquis et j’ai hâte de lire la suite ….tu as l’art de nous faire vivre de façon tellement réelle tout ce que tu éprouves toi-même au fil des heures….merci de tout coeur ….
C’est le plus bel endroit du monde !