La cité de la peur (épisode 1/3)

by Romain Mailliu
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J’ai passé, de novembre 2020 à février 2021, quatre mois au rez-de-chaussée du bâtiment 2, rue centrale de la cité des Tilleuls. Agglomérat de 2 700 logements sociaux au Blanc Mesnil (Seine-Saint-Denis), la cité est un village avec ses codes et coutumes. Je ne suis pas de nature intrusive. Mais j’aime me balader et observer les scènes de la vie ordinaire, les routines qui esquissent le portrait de ces femmes et hommes des Tilleuls. 

Cette réflexion s’organise autour de 3 épisodes. Voici le premier. 

 

Cité des Tilleuls, Le Blanc-Mesnil – © Romain Mailliu

 

Découvrez la playlist Spotify de l’article ! 

Avec la présence des artistes PNL, Disiz La Peste, Heuss L’enfoiré, Zola, Dinos, Dosseh, Remy, Jul, Sofiane, Médine, Guizmo, Milk Coffee & Sugar et Sinik. 

 

Episode 1/3 : la cité de la peur 

 

“ On a grandi un peu sauvages, Mowgli,

Tu m’comprends pas? Me3lich mon frère, oublie” 

PNL – Mexico 

 

Lorsque je rejoignais quelques amis le weekend à Paris et que j’expliquais que je vivais dans un HLM, les réactions envieuses étaient presque aussi rares que les attestations de sortie valides. J’avais au mieux un “mais arrête avec tes blagues pourries” ou au pire un sourire gêné avec un “cool, tu veux une autre bière ?”. Les cités, dans l’imaginaire collectif, ça ne fait pas rêver. Pourquoi ? 

J’aimerais vous partager quelques raisons qui peuvent expliquer la mauvaise image des cités dans l’imaginaire collectif. 

 

1. Les médias  

Les quartiers pauvres sont victimes de clichés trop souvent entretenus par les médias. Ceux-ci parlent principalement d’eux lorsque des événements tragiques s’y déroulent. Tapez « cité Seine-Saint-Denis” sur Google, vous serez servis. 3 actualités sur 4 concernent la violence et/ou la drogue. Pourtant, il est peu probable que 3 résidents sur 4 vendent de la marijuana et torturent des jeunes. 

 

Résultat en tapant « cité seine saint denis » sur Google

 

On aimerait avoir plus d’impartialité. Quelques médias se sont spécialisés dans la culture “urbaine”. C’est le cas de StreetPress, un site web français d’information indépendant, qui a pris comme cheval de bataille la lutte contre l’extrême droite. Pas certain qu’il soit beaucoup plus impartial… mais il a le mérite d’apporter un autre regard, libre à nous de faire la part des choses. 

 

2. Les politiques 

 

Tweet de Valérie Pécresse

 

« Je veux nettoyer les quartiers » : des mots à forte connotation, volontairement proches de la formule-choc employée par l’ancien chef de l’État Nicolas Sarkozy en 2005. Avec cette stratégie de communication, Pécresse veut rallier à sa cause des électeurs de droite bien ciblés. En politique, il faut définir un ennemi puis fédérer pour le combattre. Emmanuel Macron, avec sa phrase “Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder” a choisi les antivax pour évoquer le sujet de la santé,  Valérie Pécresse les “barbares” pour parler sécurité. 

Ce sont des thématiques incontournables, mais faut-ils les mettre sur la table en écrasant les cibles “faciles”, en détériorant au passage l’image d’un bon nombre de personnes qui vivent dans les cités mais qui n’ont rien à voir avec cela, qui oeuvrent parfois pour améliorer les choses et qui n’ont pas envie d’être comparés à de la saleté, des nuisibles, de la merde ? 

Il semble que, pour décider des sujets à l’agenda politico-médiatique, il faille user de petites formules, pour stigmatiser, choquer, lancer la discussion. Comme si nous n’étions pas assez intelligents pour parler directement du fond. Qui ne sait pas en France que le sujet de la sécurité dans les quartiers est plus que préoccupant ? Pour Pécresse, il y a soit les imbéciles qu’elle doit sauver, soit les barbares qu’elle doit nettoyer. 

Quand il s’agira de parler de fraude fiscale, peut-être devrons nous “Passer un coup de Roundup sur les Gafa”. Je prends le pari que Pécresse ne prendra pas le risque de s’attaquer à plus influente qu’elle. 

 

3. Les ambassadeurs 

 

“Des los-ki, des los-ki, des los-ki, les stupéfiants c’est mon hobbie,

Pour aménager le taudis, pour aménager le taudis.” 

Ninho – Problèmes du matin 

 

L’image qu’en revoient certains de leurs ambassadeurs – les rappeurs – à travers des vidéos qui font plusieurs millions de vues, ne penche pas en ma faveur. Prenons le clip Problèmes du matin de Ninho, rappeur de 24 ans qui devient en 2021 le premier artiste français à décrocher 100 singles d’or. Ce clip est un hymne à la violence. Les armes, les chiens enragés, les cagoules, les voitures de police brûlées, une grand-mère qui semble être prise en otage, sont les seuls messages que l’on retient de cette fiction aux 28 millions de vues sur Youtube. Dommage, Ninho n’a rien à prouver. Son succès témoigne que c’est un compétiteur hors pair et un artiste talentueux. Alors pourquoi continuer de fausser l’image des quartiers pauvres avec des fictions aussi sombres ? 

 

 

Pas étonnant que les gens qui n’y vivent pas et qui contemplent de loin les clichés véhiculés par les tendances, se retrouvent avec une idée des quartiers populaires qui n’est ni réaliste, ni positive. L’univers “gangster” semble être un choix marketing pour vendre des albums mais malheureusement pas pour donner une image objective – voire positive – des cités. 

Pourtant, des artistes qui mettent en lumière les quartiers, il y en a beaucoup. Partisan du verre à moitié plein, laissez moi vous parler de l’un d’entre eux. Mourad Tsimpou est un jeune pianiste du nord de Marseille. Avec son morceau Au cœur de mon hall, il arrive non seulement à sublimer son lieu de vie avec son instrument, mais aussi à travers ses paroles et son clip. Et il est encore plus jeune que Ninho et moi. À 15 ans, il apporte un témoignage qui vient contrebalancer nos histoires de gangsters et que je trouve plus nuancé, plus réaliste, plus important. 

 

 

“Au cœur de mon hall, la galère est dans les poches de mon père,

La galère se raconte dans les yeux de ma mère,

Au cœur de mon hall, hein, la galère elle s’écoute,

Entre les mots de mes frères comme le mistral en hiver.” 

Mourad – Au coeur de mon hall 

 

Et comme les artistes ne sont pas les seuls ambassadeurs des quartiers pauvres, j’aimerais vous parler de Moussa Camara. Issu d’une famille de huit enfants à Cergy-Pontoise, il n’avait pas les codes de l’entreprenariat quand il crée sa première entreprise à 21 ans en 2007.   A 28 ans il réédite avec  « Les Déterminés », une association née d’un constat simple : la difficulté des classes sociales pauvres à accéder à l’accompagnement à l’entrepreneuriat. En 5 ans, 14 promotions se sont succédées avec 207 personnes formées dont 60 ont créées leur entreprise et plus de 61% sont des femmes. À 34 ans, Moussa est nommé le 1er janvier chevalier de l’ordre national du Mérite. 

 

“ Selon le dernier rapport de Bpifrance, Terra Nova et J.P. Morgan, il y a moins de créations d’entreprises dans les quartiers prioritaires qu’ailleurs, alors que la survie à trois ans y est aussi importante, et que l’entrepreneuriat est un levier puissant de développement économique.” 

Moussa Camara

 

4. Sur le terrain 

 

“Et toi Romain, t’es-tu senti en sécurité dans la cité des Tilleuls ?” 

La sécurité. Vaste sujet. Je vais commencer par vous raconter une anecdote. 

Ma première semaine cité des Tilleuls, je me suis rendu compte que ma fenêtre donnait sur la plaque tournante de la drogue du quartier. Cette place est aux Tilleuls ce qu’est Wall Street à New York City. De midi à minuit des grosses cylindrées allemandes s’arrêtent, chargent puis partent vers les portes de Paris distribuer la stupéfiante marchandise. 

Une rue passe au devant de cette place. À chaque extrémité on y trouve des “guetteurs”. Le business de la drogue, comme tout business lucratif, est avant tout bien organisé. Chacun a un rôle défini. Le guetteur, c’est celui qui avertit quand la police arrive. Un signal d’alarme est défini et quand le cri résonne dans les HLM, on sait que les gardiens de la paix sont là. N’allez pas imaginer des performances vocales décoiffantes. Un long hurlement, comme un loup à la lune, suffit.

Voici comment s’est déroulée la première altercation que j’ai vu :  la police, simple patrouille de routine, arrive en infériorité numérique et c’est littéralement un feu d’artifice. Des jeunes jettent toute sorte de pétards et de fumigènes sur la voiture qui a vite fait de s’enfuir pour aller chercher du renfort. Trente minutes plus tard, la BAC débarque et le rapport de force s’inverse : les dealers s’échappent en courant. Mais ceux-ci ont eu le temps de cacher la drogue. Quand le calme est revenu et que les pigeons sont les seuls à fouler le sol de la place, la police s’en va. Puis les jeunes (ou moins jeunes) reviennent et poursuivent leurs activités. 

 

Cité des Tilleuls, Le Blanc-Mesnil – © Romain Mailliu

 

Pas facile de juger l’efficacité de l’intervention. Disons que cela ressemble plus à une tentative désespérée – mais nécessaire ? – pour dire que la république n’abandonnera pas la cité. Un message d’espoir pour les habitants qui subissent parfois les représailles du trafic de drogue ? Peut-être. Pour ma part, ce trafic n’a jamais eu de conséquences négatives directes sur le confort de mon séjour. Quelques cris se perdaient parfois dans la nuit. Et j’ai eu un formidable feu d’artifice pour mon anniversaire. Mais je ne suis pas policier. Ni résident depuis plusieurs années.

Vous dire qu’il n’y a pas de violence dans les cités serait donc faire preuve de malhonnêteté intellectuelle. L’infographie ci-dessous nous exposent quelques ordres de grandeur  : 

Les quartiers pauvres ont un avenir – Institut Montaigne

 

Deux révélations peuvent en découler. 

  1. “ Partons vite vivre dans l’Indre !”. Ce qui peut s’avérer une bonne idée si vous souhaitez ouvrir une ZAD (quoi que, c’est un coup à se faire déloger) ou faire de la permaculture en famille. 
  2.  “Augmentons le nombre de policiers dans les cités”. C’est l’option que je choisirais – comme la majorité d’entre vous – bien qu’elle soit curative plutôt que préventive. 

 

Je m’explique : mieux vaut prévenir que guérir. Si les policiers suffisaient à arrêter la violence, ça ferait longtemps que Sarkozy aurait fini de passer son Karcher. Traitons le plutôt le problème à la racine : d’où naît cette violence ?  

“C’est bien connu, la misère entraîne la violence !” vous répondra votre oncle Michel, cadre moyen chez Total Energies. Malheureusement, le raccourci entre pauvreté et criminalité se fait parfois plus rapidement qu’entre pollution et énergie fossile. “Pour éradiquer la délinquance, il faut d’abord éradiquer la pauvreté.”  Cette théorie est dangereuse car si la délinquance peut s’expliquer par la pauvreté dans une certaine mesure, elle n’est pas un automatisme. La preuve : il y a aussi des délinquants chez les riches #FreeCahuzac. Au-delà de la pauvreté, je pense que la délinquance vient d’un sentiment d’abandon. Quand on a plus rien à perdre. Quand on ne prend rien au sérieux car personne ne nous prend au sérieux. La violence, comme expression directe du désespoir, c’est tout ce qu’il reste comme pouvoir d’action pour montrer qu’on existe.

 

Cité des Tilleuls, Le Blanc-Mesnil – © Romain Mailliu

 

« Ceux qui ont pris tout le plat dans leur assiette, laissant les assiettes des autres vides, et qui ayant tout disent avec une bonne figure « Nous qui avons tout, nous sommes pour la paix ! », je sais ce que je dois leur crier à ceux-là : les premiers violents, les provocateurs, c’est vous !” 

L’Abbé Pierre 

 

Alors c’est quoi une cité ? 

Entre les images véhiculées par les médias, les politiques, les résidents influents ou encore ce que j’ai pu y découvrir pendant 4 mois, c’est la pauvreté qui définit en premier lieu un quartier populaire. 42,5 % des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté*, contre 14,9 % en France métropolitaine. Peuvent s’ajouter la mixité avec une population immigrée plus conséquente que sur le reste du territoire et la place que prend la jeunesse. Les cités comptent 2 fois plus de jeunes de moins de 20 ans que de personnes de plus de 60 ans. 

 

Les quartiers pauvres ont un avenir – Institut Montaigne

 

Dans le prochain épisode j’évoquerai cette jeunesse, abondante, dynamique, prête à tout pour manifester sa colère, ses rêves, ses démons, son ennui, un potentiel unique pour la France. 

 

“ J’suis l’enfant du peuple qui fait la grimace à l’État dès qu’il a le dos tourné,

C’est maître Victor Hugo qui disait qu’être contesté, c’est être constaté,

Alors, j’ai porté mes couilles en ayant toujours dit ce que je pense,

J’préfère regretter mes discours plutôt que de regretter mes silences.” 

Médine – Voltaire

 

Photo de couverture : Clip de Ninho – Problèmes du matin 

 

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6 comments

Camarguaise 15 août 2022 - 17 h 17 min

Quand j’ai eu ma 1ère hlm (habitation à loyer modéré) ayant entendu parler du quartier, j’avais dit « dans 1an je me casse de là » et j’y suis restée 25 ans ! Pas forcément par choix quand même mais il m’arrive, des années plus tard de me souvenir des bons moments. PS: ça serait bien de mettre un lien vers la suite

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Camarguaise 15 août 2022 - 17 h 17 min

Quand j’ai eu ma 1ère hlm (habitation à loyer modéré) ayant entendu parler du quartier, j’avais dit « dans 1an je me casse de là » et j’y suis restée 25 ans ! Pas forcément par choix quand même mais il m’arrive, des années plus tard de me souvenir des bons moments.

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Thomas d'Harcourt 16 mai 2022 - 13 h 09 min

Article super intéressant, et les liens vers les vidéos très sympas.

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Marion 9 mars 2022 - 8 h 17 min

Hâte de lire la suite !

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Faustine 8 mars 2022 - 23 h 50 min

Très intéressant ! Merci Romain !
On a envie de lire la suite asap!

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Astriate 8 mars 2022 - 8 h 00 min

Merci beaucoup pour cet article. Je ne vis pas dans les cités. Je vis en Afrique. Mon continent se coltine les mêmes clichés dans le reste du monde. Pour beaucoup encore l’Afrique = misère.

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