Jeune créateur de 24 ans, Ludovic Angevin a créé en avril 2021 son entreprise de vêtements d’art : METTÄ. Dans son atelier, il conçoit et fabrique à la main des créations, pièces uniques inspirées à travers une approche symbolique.
Avec PRENDS TA DOSE, entrez dans l’intimité de son atelier en suivant les étapes de la création : design, matières premières, patronage, assemblage. En filigrane, découvrez sa vision de l’artisanat, la portée de ce mode de travail ancestral au 21ème siècle, et ses réflexions sur la place du vêtement dans la société.
Première étape : le design
La première étape dans l’élaboration d’une pièce est bien évidemment le design. Il s’agit ici de passer des réflexions initiales à la première matérialisation. Cette étape est primordiale dans la mesure où elle permet de poser mes idées sur le papier et ainsi de détailler la future réalisation.
Après la confrontation de plusieurs idées, l’adaptation du design aux contraintes techniques déjà perceptibles, un premier équilibre est trouvé entre fond et forme, créativité et technicité, esthétisme et confort.
Pour ma part, je pose d’abord mes idées sur papier pour ensuite travailler sur l’ordinateur. Les deux supports se complètent. Le dessin à la main permet une instantanéité, une liberté alors que le dessin vectoriel sur ordinateur offre un contrôle précis et un rendu plus proche de la réalité.
Quand je crée une pièce, tout a un sens, rien n’est laissé au hasard, chaque détail compte. Aucune ad- jonction n’est insignifiante, en tout cas pour moi, et c’est déjà beaucoup ! Je conçois chaque pièce pour que celle-ci puisse servir de support de réflexion à celui ou celle qui la porte où la regarde. Je ne m’inspire pas de sujets de société, d’actualité, mais essaye de me focaliser sur ce qui nous dépasse…
Deuxième étape: le choix des matières premières
La deuxième étape de la conception d’un vêtement est le choix des matières premières :
- choix des tissus (composition, tissage, texture, couleur)
- choix des éléments techniques ou ornementaux de mercerie ou de récupération (fermetures, ornements techniques, fils ou autres)
Ici, j’ai choisi de travailler sur un tissu biface noir monochrome en néoprène d’un côté et en suédine de l’autre. C’est un textile que j’ai récupéré dans le marché de Salé, près de Rabat au Maroc et qui provient sûrement de fins de stocks de l’industrie, le Maroc étant un pays producteur de vêtements.
J’ai opté pour une alternance entre l’endroit et l’envers du tissu pour optimiser son esthétique et son confort. A l’extérieur, ce jeu de matière offre un équilibre visuel entre une texture mate qui absorbe la lumière (la sué- dine), et une surface plus satinée qui reflète la lumière (le néoprène). Cela met en valeur les formes par négativité ou positivité.
A l’intérieur, l’envers en néoprène est au contact du corps de celui qui le porte. L’avantage de cette matière est qu’elle est à la fois isolante, confortable et lisse. Elle n’accroche pas à l’intérieur, ce qui n’altère pas le tombé naturel de la pièce.
Troisième étape: le patronage
Le patron d’un vêtement comprend plusieurs morceaux de papier (ici du kraft pour sa résistance) découpés de manière à figurer toutes les parties des vêtements, et sur lequel on taille l’étoffe.
Le patronage est une étape qui détermine les différentes formes et donc la coupe du vêtement. Il peut être conçu à des fins fonctionnelles mais également représentatives ou ornementales.
Cette étape du processus créatif comprend :
- Le traçage et la découpe des différentes formes sur du papier à patron à l’aide de plusieurs règles droites et incurvés (appelées perroquets).
- Le report de ces formes sur une étoffe.
Il est possible de le faire à la craie tailleur ou grâce à une couture de bâti. Ici, j’ai choisi la deuxième option pour ne pas risquer de marquer définitivement le tissu.
La découpe des formes dans le tissu. Il faut toujours prendre en compte une marge de couture (1 à 2 cm) au niveau des zones de jonction de plusieurs éléments pour passer à l’étape suivante, l’assemblage du tout.
Quatrième étape: l’assemblage
J’utilise une machine à coudre de la marque Singer datant de 1952 pour les assemblages principaux et simplement un fil et une aiguille pour un travail plus précis lorsque cela est nécessaire.
J’ai également deux autres machines plus récentes mais préfère utiliser ce modèle. Bien huilée, elle offre une expérience de travail plus authentique en raison de son fonctionnement mécanique. Ses pièces peuvent d’ailleurs toutes être changées individuellement. L’ayant achetée au Maroc en 2019, je pense souvent aux différents artisans qui m’ont précédé et aux ouvrages qu’ils ont pu créer. Cet objet a une âme, il a vécu et a fait ses preuves dans le temps; c’est ce qui fait toute la différence.
Cette étape est une des plus importantes car c’est à ce moment que je vois réellement si la réalisation du vêtement est en adéquation avec ce que j’ai imaginé au préalable.
C’est aussi l’occasion d’ajouter des détails auxquels je n’avais pas pensé, en fonction des matériaux que j’ai sous la main. Par exemple, pour ce modèle de sweat, j’ai ajouté un œillet brodé au bout de la manche gauche a posteriori. Comme vous pouvez le voir, celui-ci n’était pas prévu dans le design initial.
La pièce que je viens de vous présenter s’intitule LE VÊTEMENT DES CIEUX. son nom, comme son design, parlent d’eux-mêmes. Très simplement, la partie haute représente le ciel et la partie basse représente la terre.
Pour son élaboration, je me suis inspiré d’un vêtement traditionnel de mariée chinoise de la dynastie des Qing. A cette époque et dans cette culture, les vêtements impériaux devaient être ronds en haut, et carrés en bas : cela faisait de ceux qui les portaient les médiateurs entre le Ciel et la Terre, le cercle symbolisant le ciel et le carré la terre. C’est également la même représentation que l’on retrouve en occident dans beaucoup de nos édifices architecturaux qui marquent encore l’identité de nos villes.
Qu’est-ce que le vêtement dissimule ?
Certes, nous pouvons tous nous mettre d’accord sur la fonction principale du vêtement, qui est d’être porté. Mais quel sens le vêtement porte ?
Aujourd’hui, on reconnaît à cet objet des dimensions symboliques, sociales, techniques, esthétiques, économiques et culturelles.
Il a été étudié sur le plan spirituel, religieux, philosophique, ethnologique, anthropologique et l’on ne compte plus le nombre de papiers de recherche et d’analyses spécifiques sur la profondeur de la signification des habits traditionnels du monde entier. Qu’en serait-il si l’on décidait de considérer de la même façon un Caftan marocain ou un Pallium romain et une veste de prêt- à-porter, ou même la toute nouvelle collection haute couture de chez n’importe quel grand créateur, tant soit la praticité de son usage ou la beauté de sa réalisation ? Quelle serait la différence de rapport entre l’homme et cet objet singulier qui nous caractérise tout particulièrement ? Premièrement, outre sa fonction essentielle, je crois que le vêtement peut également avoir une dimension symbolique. Cette considération est aujourd’hui occultée par la société de consommation qui pousse à la destruction des choses plus que la conservation d’un patrimoine culturel qui marquerait une part de l’identité de notre temps. A ce titre, je pense que celui-ci mérite que l’on s’y arrête un tant soit peu…
Aujourd’hui, le marché de la mode et des tendances enferme le vêtement dans un cadre purement matérialiste. Lorsque l’on pense vêtement, nous pensons presque automatiquement produit avec une dimension réduite à sa fonction principale pour répondre aux codes vestimentaires du moment, à ceux de son milieu social ou à des critères d’identification de toutes sortes. Mais n’est-ce pas réducteur, au moins sur le plan culturel ?
J’ai trouvé la réflexion de Bernard Stiegler très intéressante sur le sujet qui décrit une société du tout-jetable. Il voit dans la consommation actuelle une manière d’alimenter nos désirs de façon pulsionnelle, nourrissant toujours plus notre besoin d’inconstance et de changement incessant. Il est très critique vis-à-vis d’une civilisation qui comble son désir par la pulsion : le premier engendre un partage (ex : désirer quelqu’un c’est normalement se faire désirer en retour) tandis que la seconde crée une relation à sens unique qui emprisonne et produit la destruction de ce qui est consommé. Pour lui, “les objets culturels ne peuvent pas être des objets de consommation”.
Ma conviction est que la considération du vêtement en tant que simple produit empêche l’homme d’avoir un rapport différent et plus respectueux avec ce qu’on peut véritablement qualifier comme « son deuxième corps ». Vaste sujet…
Face à ce constat, n’y-a-t-il pas un juste milieu à trouver entre créations de luxe hyper-exclusives et objets presque jetables ? Je pense que la place doit être laissée à l’artisan, le maître d’art, spécialiste de son métier, s’inscrivant dans une lignée, un héritage, transmetteur de techniques et de savoir-faire (Artifex moderne).
La Révolution industrielle du XIXème siècle a si profondément transformé nos sociétés et conduit à produire du superflu que nous en avons presque oublié l’essentiel. Les outils que l’on utilisait comme un prolongement de nous-même ont été remplacés par des machines complexes voire robotisées, toujours plus performantes pour une production dérégulée et souvent futile, nous éloignant de notre humanité. Tous nos fondamentaux de consommation s’en sont vu bousculés et en particulier notre manière de nous vêtir, de nous alimenter (physiologiquement et intellectuellement) et aussi celle de nous loger. On peut faire un parallèle entre ces trois be- soins essentiels, pour lesquels les mêmes dérives peuvent être constatées qui privilégient la quantité sur la qualité : des barres inhumaines d’immeubles (architecture moderne telle que développée par Le Corbusier), des enseignes de grandes distributions alimentaires et vestimentaires. Au- tant de machines à habiter, à nourrir et à vêtir d’un bout à l’autre de la planète, sans plus aucune diversité des expressions et habitudes culturelles. Il est donc nécessaire de trouver une alternative à ce système dont nous voyons aujourd’hui les limites.
Ainsi, pour ne pas totalement devenir des machines, il est urgent de re- penser un nouveau modèle plus vertueux. Prenons appui sur ce qu’il nous reste du passé, de ses techniques et savoir-faire, de son génie et sa pro- fondeur, perpétuons l’œuvre de nos ancêtres et soyons au présent en utilisant les technologies comme les outils modernes sur lesquels nous aurons une maîtrise à l’échelle individuelle. Nous voyons déjà fleurir dans nos villes des espaces de partage équipés d’un mélange d’outils traditionnels, numériques et techno- logiques, de nouvelles habitudes de consommation, également transposables au marché de la mode et de l’habillement.
Je terminerais par Le manifeste de l’artisan, écrit par Ulla-Maaria Mutanen en 2005 et traduit en français par Serge Leroux en 2015 qui donnera suffisamment de raisons de privilégier ce type de modèle, pour celui qui achète mais également pour celui qui crée.
1. Les artisans retirent de
la satisfaction d’être en mesure de créer des objets originaux, car ils peuvent se retrouver eux-mêmes dans ce qu’ils ont fabriqués. Ceci n’est pas possible pour des produits du marché.
2. Les objets que les artisans ont faits eux-mêmes ont des pouvoirs magiques. Ils possèdent des significations cachées, que les autres personnes ne peuvent pas voir.
3. Les objets que les artisans fabriquent sont destinés à être conservés et adaptés. L’artisanat n’est pas contre la consommation. Il est contre la destruction des choses.
4. Les artisans cherchent une forme de reconnaissance pour les objets qu’ils ont réalisés, reconnaissance qui vient principalement de leurs amis et de leur famille. L’artisanat est une économie du don.
5. Les artisans qui pensent avoir produit des objets véritablement intéressants cherchent à en obtenir une plus grande visibilité. Ceci crée des opportunités pour de nouveaux créneaux de diffusion.
6. Le travail inspire le travail. Voir ce que les autres ont fait génère de nouvelles idées.
7. Pour l’artisanat, les outils sont essentiels ; ils doivent être accessibles, portables et faciles à utiliser.
8. Les matériaux deviennent importants. La connaissance d’en quoi ils sont faits et où on peut les obtenir devient essentiel.
9. Les résultats deviennent importants. La capacité de créer des ressources et de les distribuer prend de la valeur.
10. Les techniques d’apprentissage rassemblent des personnes entre elles. Cela crée des communautés de pratique, en ligne et hors ligne.
11. Les artisans cherchent des occasions de découvrir des choses intéressantes et de rencontrer ceux qui les fabriquent. Cela crée de nouvelles places de marché.
12. Au fond, l’artisanat est une forme de jeu.
Un article de Ludovic Angevin
Pour en savoir plus sur Ludovic et sa marque METTÄ :
Mail : [email protected]
Insta : @metaphorical.clothing
Site : metta-clothing.com
CET ARTICLE EST ISSU DE NOTRE CAPSULE « LE CODAGE : L’ARTISANAT MODERNE » À RETROUVER ICI
1 comment
L’ART dans la création du vêtement est parfaitement analysé, expliqué et crée l’envie de suivre ce jeune artisan dans son oeuvre. Ne manque pas d’intérêt , pousse à la curiosité et à la découverte avec beaucoup de respect et de considération. Bonne réussite pour lui et son équipe, il en vaut la peine.