Je suis allé voir Ad Astra au cinéma, le nouveau film de James Gray avec Brad Pitt. C’est grâce à ce réalisateur que j’ai appris à apprécier Joaquin Phoenix alors que je l’avais tant haï dans Gladiator. Après avoir monté progressivement les marches du cinéma indépendant (The Yards, La nuit nous appartient, Two Lovers) pour fricoter avec les gigantesques productions hollywoodiennes (The Immigrant, The Lost City of Z), le réalisateur nous offre aujourd’hui un film qui rejoint la liste des films se déroulant dans l’espace.
Le titre n’est pas mensonger : dès le début nous sommes plongés dans les étoiles. Mais ce n’est pourtant pas ce que j’ai le plus apprécié dans ce film. Ce qui m’a touché, c’est la manière dont James Gray utilise cet espace comme prétexte pour mieux poser les questions qui l’intéressent. Plusieurs thèmes adjacents sont abordés : commercialisation par l’homme de chaque nouveau lieu qu’il conquiert, la relation père/fils, les choix à faire dans une vie, leurs incidences, et enfin ce que nous fuyons en partant à l’aventure. C’est le dernier thème qui m’a fait le plus réfléchir. Et qui m’a donné envie de l’approfondir pour BSF. Que fuit donc l’être humain en partant de chez lui ?
Fuir, et vite.
Une fuite peut prendre plusieurs visages : camper un été dans les montagnes, faire un échange universitaire à l’étranger, gravir les sommets indomptables ou les immeubles parisiens, s’abandonner dans le travail, devenir DJ électro dans toutes les grandes villes d’Europe de l’Est, mettre de côté sa famille, s’enfouir à la campagne, trainer dans des PMU enfumés pour refaire le monde. En bref, chercher à attraper le ciel et ses étoiles par n’importe quel moyen. Les exemples sont infinis, ils sont presque aussi nombreux qu’il y a d’originaux sur notre drôle de planète. Partir un an dans les bidonvilles coacher les jeunes indonésiens pour trouver un travail décent entre-t-il parmi ces exemples ? Lisez les articles de Romain pour essayer de le savoir !
« Moi qu’est-c’tu veux qu’je te dise ? / J’aimerais m’enfuir loin de là / Ici c’est rempli de lâches » On comprend, à travers le sens des paroles du rappeur marseillais Jul, que la fuite ne peut être uniquement géographique. Quitter un lieu, c’est aussi abandonner les personnes qui y sont associées. Dans Ad Astra, c’est l’humanité entière que le personnage joué par Brad Pitt cherche à fuir. Cette humanité est symbolisée par sa petite amie avec qui il rompt avant de partir pour l’espace. En claquant la porte c’est à ses sentiments qu’il fait ses adieux, mais également à toutes les relations qu’il a pu construire sur place et à l’espoir placé dedans. Il laisse donc sur Terre ses peurs, ses désirs et ses projets pour une aventure quasi suicidaire. Quitter son quotidien semble donc parfois s’assimiler à un abandon pour nos proches.
Dans son livre Les Chemins Noirs, Sylvain Tesson nous propose un autre point de vue. Il critique ses amis voulant toujours « que l’on se voit, comme s’il s’agissait d’un impératif, alors que la pensée offrait une si belle proximité ». C’est à dire, privilégier la rencontre occasionnelle riche en découverte plutôt que l’habituel rendez-vous morose motivé par une loyauté viciée. Une forme de pardon à ceux qu’il a laissé sur le côté de sa route ? Ou une belle justification de la part d’un aventurier des temps modernes qui semble n’avoir aucun réel point d’attache. La seule maison qu’il décrit d’ailleurs dans ses livres est une cabane perdue en Sibérie dans laquelle il a vécu seul un an. Seul. La « proximité par la pensée » défendue par l’auteur serait-elle un moyen détourné pour justifier un détachement du monde ?
Partir pour mieux revenir ?
C’est possible, la fuite pouvant parfois être nécessaire pour mieux revenir. Elle est par exemple jugée fondamentale par le héros d’Ad Astra. Il en a besoin pour se reconstruire après que son père se soit perdu pendant 18 ans dans l’espace et ne soit jamais revenu. Le personnage principal se sent trahi par son père parti si loin et se bloque de tous sentiments à l’égard des autres, d’ou l’échec relationnel avec son amie. C’est pourquoi après que son père ai donné des signes de vie, et pour pouvoir évoluer personnellement, il tente alors d’aller le chercher. Ce départ symbolise la quête pour tuer le père, mais surtout pour comprendre et accepter ce père absent.
Si la découverte d’un nouveau territoire peut parfois nous apparaître comme la première raison d’un voyage, se découvrir soi-même est souvent le but inconscient. Se renouveler grâce à la distance créée par un nouveau quotidien. Se challenger dans de nouveaux espaces et observer ses propres réactions. Se regarder à travers le regard d’inconnus. Se jauger grâce à de nouveaux défis. Voilà des vrais voyages ! Combien de nouveaux visages à décrire à sa famille en revenant ! Et combien d’histoires entendues à répéter à ses amis ! L’aventure de la découverte de soi me semble donc constituer la raison principale d’une fuite. Il n’en reste pas moins qu’elle doit avoir une fin. Celle du retour.
Heureux qui comme Ulysse
« Heureux qui comme Ulysse revint d’un beau voyage » disait le poète. Ce n’est pourtant pas souvent la première impression que nous avons en revenant chez papa et maman après avoir parcouru le monde… Retour à la case départ, à l’ennui et au gouffre de nos angoisses du quotidien. Mais nous oublions le plus important : c’est à ce moment que la vraie aventure démarre ! Celle de rebâtir notre quotidien avec les leçons du voyage. Pour revenir à notre film, c’est le souvenir de sa petite amie qui permet au héros de ne pas devenir fou durant son voyage en solitaire de plusieurs semaines pour rejoindre son père. Je la soupçonne également d’être la raison pour laquelle il réussit à laisser mourir son père dans l’espace après l’avoir retrouvé. Il décide de vivre, de retourner sur terre et de construire la relation qu’il avait avorté au début du film. Lors de son retour sur terre, il connaîtra certainement le goût amer d’une aventure qui s’achève, mais également la satisfaction de terminer ce qu’il avait décidé d’abandonner. Trop de chance !
Pour nous simples clochards terrestres réduit à l’esclavage de nos capacités limitées, l’aventure peut être une solution, un moyen de faire la part des choses entre la merde et les anges et construire une pureté classique, pour interpréter les mots d’Henry Miller. C’est à dire profiter d’un voyage pour faire le tri dans notre quotidien, garder le bon et évacuer le nauséabond à notre retour. Et ainsi nous envoler, nous transformer en clochards célestes !