Nous marchions sous un ciel sans étoile. Inspiré par la vitalité que dégage le chaos organisé de Jakarta, je me disais, comme l’avait certainement fait Alain Souchon en 2002, que la vie ne vaut rien.
La vie ne vaut rien
J’aimerais cela dit, sans vouloir pour autant m’attirer les foudres des mélomanes si nombreux parmi mes lecteurs, rectifier les lyrics de ce fameux morceau de l’album J’veux du live, enregistré au casino de Paris le 29 et 30 avril 2002 et certifié disque d’or.
La vie ne vaut rien, si vous ne savez pas vous émerveiller au moins une fois par jour. Accroché à ce paysage dans lequel les hommes se mélangent aux lumières de la nuit, j’essaie d’imaginer les moments de vie qu’ils traversent. Le marchant de noix de coco qui plante sa machette dans la chair du fruit avec la fierté du travail accompli, la mère de famille qui porte dans ses bras un nourrisson et sur son scooter de la nourriture pour toute une fratrie, les enfants qui courent autour de nous les yeux pétillants de joie, si heureux de rencontrer un étranger à la peau claire. Une odeur de gingembre flotte dans l’atmosphère, un voiture se faufile dans les petites rues du bidonville et 4 jeunes assis par terre jouent de la guitare en chantant.
L’observateur pragmatique, pessimiste ou – dans le meilleur des cas – satirique pourrait dire qu’il a sous ses yeux un marchant qui travaille 14h par jour pour un salaire de misère, une mère et son bébé sans casque sur un scooter surchargé et des enfants qui trainent le soir dans les rues au lieu de faire leurs devoirs. Certains verront également, devant un tableau de Picasso, le dessin d’un enfant en dernière année de maternelle qui n’a pas bien compris la consigne. Certaines situations, quand nous voulons vraiment les comprendre, méritent d’être analysées avec les yeux mais aussi avec le cœur et la tête. Sans la vue, il est possible de continuer de vivre, alors que sans tête et sans cœur, on ne va généralement pas bien loin.
Le pitch elevator
Mes compagnons de route sont des jeunes du programme dont je suis responsable. Ce programme s’appelle SOL, Source of Life, nous produisons et vendons de l’eau potable pour les bidonvilles environnants. La gestion de ce travail représente 50% de notre activité. Le reste du temps est réservé aux trainings et au développement des projets de vie des jeunes. Je pense vous avoir déjà raconté tout cela mais n’aillez crainte je serais bref , vous trouverez toutes les informations relatives à la pédagogie LP4Y juste ICI.
Il est 19 heures et nous partons en session de recrutement dans les bidonvilles voisins. Comme une entreprise, nous recrutons des jeunes tout au long de l’année et ils rejoignent le programme de formation avec les plus anciens. Ce sont les youths (les jeunes déjà dans un programme LP4Y) qui sont chargés de convaincre les potentielles nouvelles recrues rencontrées dans les rues, de présenter LP4Y, le contenu des programmes, les débouchés, le modèle économique…. C’est une sorte de pitch elevator, mais sans ascenseur.
“There is no elevator to success… You have to take the stairs.«
Nos cibles sont les jeunes entre 17 et 24 ans, déscolarisés ou avec un travail non décent (pas de contrat, pas d’horaire fixe, pas de congé, un salaire non fixe et en dessous du minimum légal…). Le seul facteur qui compte pour intégrer le programme est la motivation.
La Bérézina
Les rues brillent sous les néons des spots publicitaires et bien qu’il fasse nuit, tous les magasins sont ouverts. À Cilincing, quartier pauvre de Jakarta dans lequel nous vivons, les magasins, qui ressemblent à de petites échoppes, font aussi office de maisons pour leurs propriétaires. C’est simple, tant qu’il y a encore quelqu’un d’éveillé dans la famille, le magasin reste ouvert. Je suis même certain que je pourrai frapper à la porte en pleine nuit pour acheter un soda. Il n’y a pas de petits profits dans une ville ou la grande majorité des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté (1,5 euro par jour).
Nous stoppons notre avancée victorieuse, qui aurait fait pâlir Napoléon pendant la retraite de Russie, pour interpeller un groupe de jeunes et leurs parents. Les youths se lancent dans les présentations puis dans les négociations, en bahasa, avec une rhétorique qui m’échappe un peu mais qui semble, d’après leur gestuelle et les expressions de leurs visages, digne des plus grands orateurs. Encore une fois, les youths m’impressionnent. Pas une seconde d’hésitation ne s’est fait ressentir. Face à des jeunes de leurs âges, leurs parents, parfois même leurs grands-parents, ils encouragent de nouveaux jeunes à les suivre afin de reprendre les études et de trouver un travail décent mais difficile à obtenir. Ils sont de véritables moteurs pour leurs communautés. Pourtant, ils étaient dans la même situation il y à peine quelques mois…
Nous continuons notre escapade avec 10 nouveaux contacts de jeunes motivés pour rejoindre LP4Y. Ces temps de recrutement sont de très bons moments pour les youths car ils s’exercent à la communication professionnelle mais nous nous n’oublions pas nos objectifs. LP4Y a pour objet l’insertion professionnelle et sociale de Jeunes en situation de grande précarité et frappés d’exclusion dans le MONDE. Alors 10 jeunes en plus, c’est un petit pas, mais chaque pas compte !
“Le grand orateur du monde, c’est le succès.”
2 comments
Superbe article Rom1 ! Comme à ton habitude ta plume est précise, les mots choisis sont d’une précision chirurgicale et l’effet produit est saisissant ! Merci de me faire voyager même depuis mon RER D, qui je dois le dire est sans saveur lorsque je ne te lis pas. J’ai comme une envie de tout lâcher et de repartir !
J’ai une question concernant ton quotidien. As-tu pensé à initier les jeunes au golf et à créer une association de golfeur ? Je pense que tu peux les amener au sommet et même, pourquoi pas, au championnat mondial !
Hâte d’entendre de tes nouvelles bientôt !
Quel plaisir de te lire Clément ! ce sacré RER D… la ligne de tous les possibles ! Pour le golf, nous avons déjà privatisé un 18 trous pour tater l’albatros et travailler l’adresse.