Le bon, le boeuf et le saint : visite de l’église St Thomas d’Aquin

by Baudouin Duchange
1 comment

“Sur les chemins” est une série de récits de promenades au bord du patrimoine français éclairés par des lumières d’hier et d’aujourd’hui (Jul, St Thomas d’Aquin, Dalida, Jim Harrison, Zweig, Johnny, Chagall, Houellebecq, Naps …)   

    Nous sommes dimanche, le jour de la messe et du marché, le jour des gueules de bois enragées et des burgers livrés par de bons samaritains à vélo. Pour m’aérer le cerveau embué par les évaporations houblonnées de la veille, je décide de me promener. Destination : l’église St Thomas d’Aquin dans le 7ème arrondissement de Paris. Inutile de rouspéter dès le premier paragraphe, c’est un choix hasardeux issu d’une de mes nombreuses obsessions névrotiques patrimoniales. Et puis une heure de marche, c’est un raccourci appréciable pour rejoindre le plus grand intellectuel du Moyen-Âge sans passer par la lecture de sa fameuse Somme théologique. Je n’ai de toute façon pas le temps de m’y consacrer en ce moment puisque je relis l’encyclique de JK Rowling dédiée à Harry Potter. Une autre voie pour chercher des mondes inaccessibles.

“Le triomphe de St Thomas d’Aquin” par Benozzo Gozzoli (XVème) –Musée du Louvre 

PROMENADE SOUS LE MIRADOR

    Le 5ème arrondissement est égal à lui-même. Le Panthéon impressionne avec ses murailles sans fenêtres donnant à son dôme un air de mirador. « C’est pas le Pérou, mais faut rêver, quand on promène nos corps sous le Mirador » chantait Johnny. Son refrain empreint de fatalisme me poursuit tandis que je longe le jardin du Luxembourg. À l’intérieur, le Sénat désapprouve mon visage dénudé. Le retour de l’obligation du port du masque à l’extérieur ne m’inspire pas. Johnny passe le micro à Jul : « Quand tu mets le masque, je vois pas tes défauts / Mais t’inquiètes, j’sais reconnaître les vrais des faux ». Les visages timides, boudeurs, souriants ou rêveurs des parisiennes me manquent déjà. Et les absurdités des contraintes « sanitaires » me lassent. Les sourires s’en vont, je demeure.  

La rue coule vers le quartier de Saint Germain des Prés. Quelques pas sur le côté gauche plus tard, l’hommage architectural parisien à son universitaire le plus connu, Saint Thomas d’Aquin, se dévoile à moi comme une montagne après un col. J’espère atteindre les sommets esthétiques promis par les avis google. Ces commentaires grainés par les alpinistes du monde digital me font penser à des cairns sur les chemins de randonnée. Pour ne pas se perdre, il vaut mieux les suivre. « Mérite une visite » selon Thierry ou encore « Belle église comme j’aime » selon l’évangile d’Aline. Apparemment c’est à voir ! Alors allons-y.

La place Saint Thomas, dans le 7ème arrondissement de Paris

XVIIÈME VS RESTE DU MONDE

La place devant l’entrée de l’église est vide. Mon ombre misanthrope est ravie. Mais plus pour longtemps. Le conservatoire professionnel des joueurs de flûtes, Science Po, vient en effet d’aménager le bâtiment à côté de l’église. Ouverture prévue en septembre 2022. Peut-être que les élèves de la filiale parisienne de Serpentard se convertiront dans une quête intellectuelle et spirituelle profonde ? Je peine à y croire, comme à monter les escaliers de l’entrée avec mes poumons de fumeur. À chacun son pèlerinage. 

    Premier coup d’œil à l’intérieur de l’église : c’est beau. Commentaire banal car j’anticipe la rédaction de mon avis google. Mais si vous préférez une réflexion plus technique, il s’y illustre un ordre et une régularité toute propre à son époque. La voûte en berceau, les piliers ornés de pilastres corinthiens qui la soutiennent servent ce discours par leur symétrie, leur clarté. La luminosité participe d’ailleurs beaucoup à la perception architecturale de la nef. Éclairée de six baies, les collatéraux apparaissent plus recueillis pour accueillir les nombreux tableaux de maître acquis par la paroisse… L’analyse n’est pas la mienne mais celle du cerveau fou d’un pote architecte. Je paraphrase souvent, c’est moins fatiguant. Ou pour le dire plus joliment : j’apprécie les citations. 

Bref, une ossature d’église très 17ème. On pourrait presque la considérer comme un reliquaire de l’esthétisme du siècle de Louis XIII et Louis XIV. Le bâtiment est d’inspiration classique, c’est-à-dire que la montée vers le chœur inspire un élan de simplicité – ou de pureté (y-a-t-il une différence entre les deux ?). Peut-être est-ce dû à l’alliance de la pierre beige avec le bois sombre sur le bas des murs ainsi que de l’élégante chaire. Et pourtant – malheureusement ? – le baroque s’est tapé l’incruste dans le chœur. Des angelots grassouillets soutiennent un drapé nuageux au-dessus du ciborium de l’autel. Le temps a fait son œuvre et le baroque s’est inséré à l’ornement comme la mousse sur un plafond humide. 

@Patrimoine-Histoire

L’INSOUTENABLE LÉGÈRETÉ D’UNE ÉGLISE DE 30 000 TONNES

Plus rapide que Lucky Luke, je dégaine mon portable à la recherche d’informations à macérer. Mais je me souviens du conseil de Mr. Weasley à sa fille Ginny dans Harry Potter 2 : « Qu’est-ce que je t’ai toujours dit ? De ne jamais te fier à quelque chose capable d’agir et de penser tout seul si tu ne vois pas où se trouve son cerveau ». Mode avion activé : je reste à l’affût de mes émotions. Je lève la tête pour admirer la coupole, héritage architectural du Siècle d’or.

Je sors de ma poche l’excellente biographie du Saint par l’écrivain anglais Chesterton : « Nul n’approchera jamais de l’intelligence de la philosophie thomiste, ou de la philosophie catholique, qui ne comprenne d’abord qu’elle se fonde entièrement sur la glorification de la vie ; la glorification de l’être ; la glorification du Dieu créateur de l’univers. Le reste s’ensuit par voie de conséquences dans un ordre troublé mais non supprimé par le péché d’Adam et les vocations hérétiques ». Cette extase pour le vivant se ressent particulièrement dans le chœur de l’église. Le dôme ressemble à une couronne avec ses quatre piliers courbés. Une couronne divine protégeant l’autel où se déroule l’eucharistie. Se diffuse en moi le symbole d’une hostie se transformant chaque jour en Christ Roi. L’architecture est une publicité délicate. 

Photo du dôme de l’église @Audrey Pechenart

Une peinture murale sous le dôme représente un St Thomas sur fond doré en contemplation. Le docteur de l’Église le plus important de son époque, l’incontournable aventurier de l’esprit ayant réintroduit la figure aristotélicienne dans l’Occident, le bourreau des dispersions intellectuelles inhumaines, s’humilie pourtant devant son Dieu, source et embouchure de son existence. C’est cette vision de l’Église que j’affectionne : une communauté de pécheurs, riche de cœur et pauvre de tout le reste, qui s’agenouillent humblement, dans un instant d’intimité collective, devant l’immense miséricorde du Père. 

@Audrey Pechenart

Saints et visiteurs sont de la même race : des pécheurs pleins de vie. C’est l’unique leçon que j’ai retenue du professeur. Je ressors le livre de Chesterton. « À l’intellectuel morbide de la renaissance qui s’interroge : « Être ou ne pas être ? Telle est la question », le massif docteur médiéval répond d’une voix de tonnerre : « Être : c’est la réponse ». Cela vaut qu’on y insiste. Car il ne faudrait pas croire, ce que l’on fait volontiers, que la Renaissance marque le moment où l’on commence à faire confiance à la vie. C’est l’époque au contraire où, pour la première fois, Quelques esprits cessent d’y croire. Le Moyen-Âge avait mis des freins à l’universel appétit de vivre qui tournait parfois à la fureur de vivre. Les freins furent quelques fois inutilement serrés. Mais ils servaient à contenir une force naturelle très puissante : la force d’hommes qui aimaient la vie. Avant l’apparition de la pensée dite moderne, on n’avait jamais eu à combattre des hommes qui désiraient mourir ». Cette église est vivante.

La coupole est ornée des peintures de Merry-Joseph Blondel (1781-1853) – @Patrimoine-Histoire

FIN DE PROMENADE 

L’un des surnoms de St Thomas était le bœuf muet de Sicile. Sa corpulence devait évoquer les contours costaux du Chaussée aux Moines. Et son caractère celui d’un agriculteur célibataire de la Creuse. Il travaillait sans répit pour ce qu’il pensait juste. J’envie sa capacité à accepter le silence intérieur, à y puiser la force et la stabilité afin de réussir à avoir une parole claire et tranchante dans ce monde perpétuellement agité. Ce vrai silence régénérateur, j’y parviens uniquement lorsque je cuisine ou jardine. Deux vocations qui mènent directement à la sainteté, j’en suis convaincu. 

J’arrive au bout de cette promenade patrimoniale avec la chapelle Saint-Louis, située derrière le chœur. Celle-ci témoigne d’une rencontre entre Louis et Thomas, deux futurs saints aux caractères pourtant opposés. Un français sociable avec une couronne sur la tête et un immigré taiseux la tête dans les livres. La sainteté n’est pas un profil psychologique ! Deux points communs tout de même : ils ont habité à Paris au XIIIème siècle et consacré leur vie au Christ. On raconte qu’après plusieurs invitations déclinées, Thomas aurait finalement accepté, sur ordre de ses supérieurs, un repas à la cour du roi. On imagine mal le bœuf muet de Sicile faire le moindre effort pour sociabiliser à l’aide d’un cocktail de mondanité. Agitées par l’ironie et la courtoisie alors de vigueur en France,  les discussions devaient être animées ! Jusqu’à ce qu’un bloc de chair s’abatte contre la table et qu’une voix profonde s’écrie “VOILÀ QUI FERA TAIRE LES MANICHÉENS !” Élucubration d’un ivrogne ou nouvelle plaisanterie d’un troubadour ? Que nenni : St Thomas venait simplement de trouver un nouvel argument contre les hérétiques après une longue absence introspective ! Je me dirige vers la sortie de l’église. La lourde porte en bois se referme brusquement. Il me semble encore entendre le poing du Saint raisonner dans mon âme. 

Baudouin Duchange

@Audrey Pechenart

You may also like

1 comment

Hélène M 8 avril 2022 - 12 h 00 min

Magnifique ! Très inspiré ! Merci ! Très instructif !
Sensible à la poésie ?
La neige est comme un cadeau des Saintes Plumettes Célestes ! Et un Chœur vraiment merveilleux est venu me chanter aux oreilles un début de très belle mélodie !
Extrait :
« Je dis : « Nous ? Nous ? Nous ? »
J’entends : « Tes Saintes Plumettes Célestes, Tes Saints Mousquetaires chéris » (jusqu’ici, une seule Voix, celle de Jésus), « les Saints et Saintes » (là, ils sont nombreux à me le dire, à me le chanter, ici, comme une Céleste chorale ! Sur les notes de musique Sol (les) et, 2 tons et demie plus aigu, Do (Saints), puis de nouveau Sol (et) Saintes (Do) !) et là, je décroche, je sens que j’intellectualise de trop, je ne suis plus à l’écoute de mes Saintes Voix. »
https://helenemusiques.wordpress.com/2022/04/06/messages-celestes-celestial-messages/
Nous avons toujours besoin du don de discernement, pour savoir si ce que l’on nous dit est vrai ou faux, don qui est l’un des dons de l’Esprit Saint.
Je me suis beaucoup fait « balader » dans ma vie, croyant à des mensonges, y compris me concernant personnellement. Mais il y a heureusement moyen d’accéder à la Vérité, avec l’aide de Dieu.
Deux pistes pour accéder à la Vérité, qui me sont venues à l’esprit :
 Le projet Blue Beam : https://helenemusiques.wordpress.com/?s=projet+Blue+Beam

 Le livre de la Vérité : https://helenemusiques.wordpress.com/?s=le+livre+de+la+V%C3%A9rit%C3%A9

Avec humour, amour et Cœurs Unis !
Hélène MCoeurUnis+Précieux Sang-Précieux Sang-Précieux Sang

Reply

Leave a Comment