Assange : Faites-donc taire ce sifflet !

by Tibovski
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Assange

 

Dernière porte à enfoncer pour museler le chien, le traître. Pour un monde qui se décrépit et s’agite de révoltes, la parole et l’information se montrent dangereuses. Seul le vacarme de la machine est autorisé, toute voix doit se confondre avec ou se taire. Le “public” de la “parole publique” ne se retrouve plus que dans “publicité”. Le vieux monde peine à cacher ses rides aux yeux avertis, et pourtant, il ne veut rien laisser transparaître. Honte pour notre espèce, honte pour notre époque, honte pour nos idéaux. Car ce sont tous les crieurs publics qui risquent d’être étouffés. 

Julian Assange le fondateur de WikiLeaks est actuellement jugé en Angleterre pour décider de son extradition vers les Etats-Unis. Voilà bientôt 10 ans que les Etats-Unis cherchent à mettre la main sur Assange, pour lui faire payer la divulgation de documents classifiés concernant les interventions militaires au Moyen-Orient. Dans ces documents on pouvait y trouver notamment des vidéos montrant des soldats américains tirant sur des civils irakiens. 

 

Un cyber-robin des bois

Récapitulons. Assange est un informaticien australien, un ancien hacker, un vieil ennemi de l’Etat, militant de la liberté privée. Alors que les individus mènent un combat perdu d’avance pour protéger leurs informations privées, les secrets d’Etats sont les mieux protégés au monde. L’asymétrie entre une autorité qui collecte et catalogue tous les détails sur ses populations mais refuse d’être transparente sur ses activités est une injustice.

La légitimité d’un secret d’intérêt public ne convainc pas notre activiste. Si ces puissances sont, comme elles l’affirment, démocratiques et républicaines (res-publica= chose publique), alors elles se doivent de rendre public, de rendre au public, son fonctionnement. Comme on le dit souvent pour justifier toute mesure de surveillance : “Si vous n’avez rien à cacher, alors il n’y a rien à craindre”. Mais c’est cette asymétrie qui instaure l’ascendance. Plus un pouvoir est obscur, mieux il contrôle ses effets. Ainsi l’information devient une arme contre les puissants. C’est le but même de WikiLeaks : réarmer le peuple. Ce site qu’il a créé en 2006 fonctionne comme une plateforme divulguant des fuites d’informations d’intérêt public. 

 

La fureur du Pentagone

En 2010, le site divulgue un ensemble de document sur les différents conflits menés par les Etats-Unis au Moyen-Orient. Voulant le juger, les Etats-Unis profitent d’une mise en accusation de l’activiste en Suède pour avoir retiré son préservatif durant un rapport sexuel (fait puni par le droit suédois) en demandant son extradition. Assange refuse de se rendre en Suède de peur d’être extradié. La Suède émet un mandat international. Il est alors arrêté à Londres, et la Cour Suprême refuse sa demande de non-extradition vers la Suède. Julian Assange se réfugie alors dans l’ambassade de l’Equateur à Londres. Le pays d’Amérique latine lui accorde l’asile.

Assange y reste 7 ans, confiné dans un appartement de l’ambassade et surveillé par les services britanniques et américains. Le gouvernement équatorien autorise finalement les autorités anglaises à venir l’arrêter dans l’ambassade, bien qu’ayant obtenu la nationalité équatorienne un an auparavant, bien que la Suède ait abandonné les charges. 

 

Journalisme ou espionnage ? My name is Assange… Julian Assange

Le cas d’Assange va être enfin décidé. Et cela ne s’annonce pas très bien : premièrement le précédent jugement avait tranché en faveur d’une extradition. Secondement le Royaume-Uni a montré beaucoup de zèle en faisant pression sur la Suède pour qu’elle conserve les accusations et en maintenant le mandat d’arrêt même après l’abandon de la Suède. Et enfin parce que les Etats-Unis ayant récemment modifié les charges d’accusation, il risque une peine de 175 ans de prison.

Initialement, Assange n’était poursuivi que pour avoir aidé la lanceuse d’alerte Chelsea Manning à pirater les systèmes informatiques de la Défense américaine. Avec les griefs d’espionnage, non seulement la peine est beaucoup plus lourde, mais surtout les journaux ayant collaborés à diffuser les informations pourraient également être mis en accusation pour complicité.

La liberté d’information est donc sérieusement mise en péril, en dissuadant les journalistes et lanceurs d’alertes, mais aussi en créant un précédent juridique sur la scène internationale. 

 

Deux poids, deux mesures. 

La relation entre information, liberté et pouvoir est plus que complexe pour être traitée correctement et exhaustivement ici. Seulement je constate qu’il y a effectivement une asymétrie dérangeante entre la population et les gouvernements. Cet article se rédige à l’heure où les premiers essais de reconnaissance faciale se généralisent, et où la surveillance généralisée s’endurcit en Chine sous prétexte de l’épidémie COVID-19. À l’heure où l’on s’indigne pour la vie privée uniquement quand elle touche un politicien et où l’on réclame la fin de l’anonymat sur Internet.

Je me souviens très bien qu’à l’époque où Assange se voyait menacé d’une condamnation aux Etats-Unis, le Time faisait de Mark Zuckerberg la personnalité de l’année 2010. Le contraste m’avait déjà frappé à l’époque, alors qu’on ne connaissait pas encore l’étendue de l’affaire sur l’exploitation des données personnelles mise en oeuvre par Facebook. De l’autre côté, Wikileaks fait l’exact inverse en diffusant des informations d’intérêt public. Vous voyez donc la double vitesse avec laquelle on traite les problématiques sur les secrets et la vie privée en fonction de la place dans l’échiquier. 

Pourtant, je n’aime pas Assange, humainement. Je ne souhaite ni en faire un héros ni un martyr. Sa suffisance, son culte de la personnalité, son rapport aux femmes ; tout cela m’irrite au plus haut point. Mais c’est précisément parce que cette histoire ne concerne pas une personnalité, mais la libre parole et le droit à la transparence, qu’elle est de la plus grande importance. 

À tous les lanceurs d’alerte et leur sifflet qui prennent des risques pour notre droit à savoir !

J’ai fait bref pour une fois : à la prochaine quinzaine !

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